16 avril 1917, récits de combattants...

L'offensive Nivelle sur le Chemin de Dames fera des dizaines de milliers de morts, disparus, blessés...traumatisés par l'enfer de la guerre.

Le 16 avril 1917, à 6h, l’offensive du général Nivelle est lancée sur le Chemin des Dames. Des centaines de milliers d’hommes sont rassemblés là, les uns sur les hauteurs, déterminés à tenir après avoir enduré dix jours de préparation d’artillerie, les autres, dans la vallée, qui s’apprêtent à monter à l’assaut dans ce qui doit être l’ultime effort vers la victoire. Dans un orage de feu et d’acier, des hommes vont s’affronter pour quelques centaines de mètres de terrain, laissant dans les mémoires le souvenir de l’un des pires carnages de la Première Guerre mondiale.

 Du 16 au 30 avril 1917, les 5 e , 6 e  et 10 e  armées françaises totaliseront 13083 tués, 16 968 disparus et 52 332 blessés. Les pertes allemandes sont toujours quant à elles difficiles à quantifier. Ceux qui s'en sont sortis, nous ont laissés leur témoignage...

 

Georges GRAS, 26 ans

Georges GRAS, 26 ans. Cliquer pour développer.

« 6h00. En quelques pas j’atteins la lisière, puis la chicane, comme à la manœuvre, aussi loin qu’on peut voir, nos hommes surgissent pour se ranger en formations de combat devant les barbelés. Et de partout, un geste. En avant ! Tandis que nos obus s’acharnent encore sur la ligne ennemie, nous progressons posément dans le vallon rempli d’une légère brume. Il faut contourner les trous, sauter les arbres abattus, les sections de droite s’embourbent dans la terre spongieuse et d’instinct se rabattent sur des terrains plus fermes. Tandis que les compagnies de gauche en terrain dégagé, abordent le saillant et commencent à l’escalader, nous grimpons à grand peine les derniers contreforts à l’est de l’éperon, et nous voici en vue de notre objectif : « La Strypa ». C’est alors le coup d’arrêt brutal, inexorable. Comme un coup de baguette, un tir d’armes légères, où les mitrailleuses mènent le bal, se déclenche en ouragan. La ligne d’assaillants, dont les éléments avancés, tiennent les abords de l’église, est littéralement piquée au sol par des tirs de face, des tirs d’enfilade. Venant de Chevreux et de « la Strypa », des tirs plongeants – les plus meurtriers – venant des arêtes de la falaise. La densité du feu est telle qu’il semble qu’un essaim tourbillonnant de balles nous cherchent dans tous les sens. De notre position en contrebas toute riposte est impossible. Rien à faire que de se terrer, de s’abriter au mieux pour laisser passer l’orage. »

Xavier CHAÏLA, 30 ans

Xavier CHAÏLA, 30 ans. Cliquer pour développer.

«16 avril 1917. Pour nous, nous marchions avec la 2e division de cavalerie comme régiment à pied. […] l’infanterie devant attaquer à six heures. Le feu de l’artillerie atteint alors sa plus grande intensité. Le ciel était une fournaise. On n’entendait rien au milieu du fracas des pièces. […] On passa l’Aisne sans accident et tout marcha à peu près bien tant qu’on fut dans nos anciennes tranchées. Après, comme entre les deux lignes il n’existait pas de boyaux, on dut franchir la distance à découvert, mais les Boches, nous ayant aperçus, bombardèrent le passage avec des [obus de] 210. […] »

Gabriel Barret, 24 ans

Gabriel Barret, 24 ans. Cliquer pour développer.

« Dispersés par petits groupes, isolés dans les entonnoirs, nous sommes directement aux prises avec les boches... peu nombreux, semblait-il, au début de l’attaque, ils sont sortis de leurs trous profonds, comme des frelons et ils nous harcèlent de tous les côtés, sous un véritable déluge de grenades... Au prix de dangers inouïs, deux hommes viennent d’aller en arrière chercher un peu d’eau... à leur retour, ils nous rendent compte qu’aucune relève n’est, pour le moment, envisagée... Nos effectifs sont réduits des deux tiers, nous faisons donc partie du tiers restant. Nous sommes épouvantablement sales et sans sommeil depuis un temps qui nous échappe. Le moindre petit coin de ce champ de bataille hallucinant ferait frissonner jusqu’à la moëlle, l’être humain le plus insouciant qui s’y trouverait transporté... avec un seul caporal, je commande la section ou plutôt ce qu’il en reste. Au cours des premières minutes de l’attaque, nous nous sommes trouvés nez-à-nez avec les Fritz qui nous ont fixés devant leur deuxième ligne installée sur la crête. Comment la 1ère vague, partie devant nous, a-t-elle pu fondre aussi vite, disparaître aussi complètement... leurs mitrailleuses aux aguets s’acharnent sur tout ce qui apparaît, sur tout ce qui bouge... rien d’autre à faire, qu’à subir ce tir inflexible, dominateur, car, nous savons qu’il n’y a aucun renfort derrière nous. Nous avons l’impression d’avoir été abandonné... on nous dit de « tenir » ... nous voilà à bout, complètement à bout... et dans quel état, au milieu des cadavres et des excréments, englués dans une boue infecte »

Pierre ROBIN, 20 ans

Pierre ROBIN, 20 ans. Cliquer pour développer.

« Il est 6 heures, c’est l’heure H, dans toute le secteur la grande bataille est commencée et effectivement à ma droite vers Craonne, fusillade intense, les mitrailleuses parlent, le silence de tout à l’heure est disparu. C’est le 1er d’infanterie qui attaque Craonne. […] A 6 heures et demi j’arrive en position dans la cuvette de Craonnelle, ils doivent attaquer vers le saillant de Vauclerc, petite falaise presque à pic (je voyais cela par temps calme). Deux bataillons (les 5e et 6e) participent à l’attaque (environ 2000 hommes), les soldats n’ont pas fait 50 mètres qu’un feu de mitrailleuses les arrêtent sur place et au bout d’une heure ordre est donné d’arrêter. Il faut essayer d’évacuer les blessés, de rassembler les valides et d’attendre les unités qui viennent derrière le régiment d’assaut. Ces unités devaient être à leurs côtés vers 8h (H + 1h45), c’est la raison pour laquelle les Allemands font en ce moment leurs tirs de barrage. 

Paul CLERFEUILLE, 31 ans

Paul CLERFEUILLE, 31 ans. Cliquer pour développer.

« Nous avons des vivres pour six jours, nous n’avons emporté que le nécessaire. Linge, couvertures, nous en avons fait des petits colis qui sont restés à l’arrière, gardés par des soldats désignés et qui ont leur père ou frère tués aux armées. Les vivres que nous emportons constituent six jours, boites de bœuf, porc, sardines, chocolat, pain, biscuit, pâté, café, sucre, haricots et farine, pomme de terre en fécule etc. Également du pinard, le café, la goutte mêlée d’éther. Moi, je porte mes vivres, un bidon de goutte, un bidon de café que j’ai préféré au vin, quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz sans oublier mon casque.

Alfred BEERMANN

Alfred BEERMANN. Cliquer pour développer.

« A l’aube, je venais juste de revenir de la tranchée quand le sous-officier de garde sonna l’alerte : « Les Français attaquent ! ». Comme je portais sur moi encore mon équipement je fus le premier à sortir.

H. SIEBERSLEBEN

H. SIEBERSLEBEN. Cliquer pour développer.

« Enfin le 16 avril, un jour que je n’oublierai jamais, débuta l’offensive de l’infanterie adverse. Avec des cris d’urgence, les rares commandants appelaient leur poignée d’hommes. Les armes étaient couvertes de boue, les mains raides et douloureuses ; néanmoins, ici et là retentissait le bruit d’une mitrailleuse. Des grenades à main explosaient alors que nous rampions ou bondissions de trous d’obus en trous d’obus, perdant du terrain graduellement car nous ne pouvions pas endiguer la supériorité numérique des Français. C’était un chaos complet ! Mais l’ennemi hésitait ; ils n’avaient pas envisagé de rencontrer une telle résistance puis, comme si elles arrivaient du paradis, des réserves furent employées pour renforcer notre défense plus ou moins le long de notre position où notre troisième ligne de défense courait trois jours auparavant (Seitz-Linie). L’ennemi attaqua à plusieurs reprises, mais fut repoussé à chaque fois. Dès que l’obscurité vint, nous nous sommes repliés près d’Ostel puis dans la ligne de défense Malmaison. »

Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, 21 ans

Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, 21 ans. Cliquer pour développer.

« Un court crépitement de mitrailleuses m’inquiète soudain. Devant nous, des hommes courent.  Dispersés, et il y a dans le bruit et la fumée quelque chose d’anormal. J’ai l’impression que nous sommes près de l’ennemi, et, à nouveau je porte mon sifflet à mes lèvres. Une série de petits coups de sifflet rapides et ma section se déploie en tirailleurs sans cesser de marcher. Je suis ainsi plus tranquille : s’il y a une surprise nous serons en formation de combat... Sous la menace que nous sentons peser, notre marche s’accélère. Nous abordons la première tranchée boche. Tout y est bouleversé à un point incroyable et le réseau n’est plus qu’un souvenir... Nous nous arrêtons une seconde, le temps de souffler et de reprendre un peu d’alignement... Nous repartons. Palmier me crie à ce moment : -    Balancez votre canne !  Hé oui ! Je sais bien ! il a raison ... Je la plante d’un coup sur le parados de la tranchée pour en marquer la prise de possession définitive. Comme nous avançons toujours, les premiers cadavres nous apparaissent, dispersés çà et là, de nos camarades qui, il y a quelques minutes, sont partis devant nous, et tout à coup ..Tac tac tac tac tac tac…Une terrible rafale nous cloue sur place…

Georges Gaudy, 22 ans

Georges Gaudy, 22 ans. Cliquer pour développer.

« Minuit ! La compagnie s’ébranle. […] Je remarque des passerelles sur le cours d’eau. Chaque bataillon à les siennes pour le franchir. Les crêtes du Chemin des Dames émergent du brouillard. Les troupes de rupture doivent se préparer là haut. Je songe aux Sénégalais qui s’installent en ce moment dans les places d’armes et les parallèles de départ, avec leurs faces silencieuses. L’artillerie donne éperdument. Des batteries nouvelles se sont démasquées. Mais nul d’entre nous ne voit rien. Chacun devine, ayant déjà vu. Ce bruit nous excite, nous ne sentons plus la fatigue, et l’on s’impatiente en attendant l’heure. […] en me retournant, j’aperçois les collines au sud de l’Aisne, noires de troupes. L’infanterie s’avance en petites colonnes, le long des buissons ; la cavalerie, que nous n’avions pas vue depuis tant de mois, se rassemble là-bas par escadrons ; sur une route, de gros camions paraissent ; ils s’arrêtent, prêts à suivre la progression. Partout, les casques bleus étincellent. Et de sentir derrière nous tout ce monde massé, devant nous ces soldats éprouvés, notre enthousiasme grandit, se décuple. […] Les voies humaines se taisent. On écoute, on attend. Et déjà l’évènement effroyable et grandiose est commencé. De tous les trous où ils se blottissaient, les hardis lutteurs de la première minute se sont élancés ; ils sont en marche, ils sont partis. Partout, les points d’or pâles des fusées montent dans le ciel mouillé, et voici que s’élève, impérieux, le tac tac des mitrailleuses.

Officier allemand (anonyme)

Officier allemand (anonyme). Cliquer pour développer.

« Au matin de l’offensive, il manquait tout soutien de la part de notre artillerie. Nos avions de chasse n’ont pas réussi à nous garder à distance des avions ennemis, contrairement à Verdun et à la Somme, il n’y a eu que peu d’attaques et elles étaient peu vigoureuses de la part de nos avions de chasse, la plupart du temps ils se sont limités à ne donner que quelques tirs à des distances beaucoup trop longues, avant de faire demi-tour en évitant la bataille. Nos canons anti-aériens ont complètement échoués. Quelques avions ennemis ont tournés au-dessus de nos positions, sans recevoir de tirs de nos canons anti-aériens placés trop en arrière du front. Nos mitrailleuses anti-aériennes ont en revanche tirés 4000 coups par jour, mais elles recevaient en échange des tirs d’artillerie français.

Jean Henri JAYMES, 40 ans

Jean Henri JAYMES, 40 ans. Cliquer pour développer.

« Quittons le bivouac [bois sud de Roucy] à 5 h19, traversons Roucy, Pontavert et toutes les lignes de grosse artillerie, c’est un vacarme étourdissant ; huit heures, c’est en pleine bataille. A la sortie de Pontavert, nous trouvons l’artillerie, batterie de 75, qui avance, le bois des Buttes est à nous ; à certains endroits la route 44 est dégagée ; c’est cette route que nous devons réparer. A 9 heures nous touchons les outils à la ferme nord-est de Pontavert ; là nous attendons les ordres. De 9h à 13h, il passe 5 convois de prisonniers, environ 600 à 15 heures et 16 heures, deux autres convois, en tout 900 à 1000. A 16h30, nous recevons l’ordre de camper, la route où nous devons aller travailler n’est pas encore dégagée, c’est du côté de Berry au Bac qu’il y a beaucoup de résistance. L’attaque n’a pas marché comme c’était prévu, l’ennemi avait beaucoup de troupes et devait attaquer 24 heures plus tard ; nous avons devancé ses projets ».

Cyprien ETCHEGOYEN, 20 ans

Cyprien ETCHEGOYEN, 20 ans. Cliquer pour développer.

« Là-haut, les troupes d’attaque grimpent sous le déferlement des tirs de barrage ennemis. Ils s’en vont, les braves, à la conquête du ciel, tant c’est haut cette tranchée du plateau qui commande à la vaste plaine. On les croirait voir s’agripper à des remparts de citadelle. Et ceux qui roulent, ah ! Ceux-là, sont nombreux ! On n’avance pas. Et nous avons la mort dans l’âme. Cependant nous poussons, nous poussons toujours dans l’espoir que la ligne d’attaque s’ébranlera sous notre effort même. Mais, là-bas, la résistance est brutale. La surprise n’existe plus. Les tanks, qui ont couvert la marche de l’infanterie sur le tapis de Corbeny, sont immobilisés dans l’encadrement sans cesse renouvelé des explosions meurtrières. Une illusion est morte certainement pour ces admirables poilus livrés aux feux des mitrailleuses sans qu’ils puissent espérer des mastodontes d’acier l’écrasement des Allemands invisibles. Sur la crête de Vauclère la ligne française se réduit à chaque bond et les hommes chavirent en jetant en l’air leur fusil-baïonnette comme dans une fantasia où la mort commande au bourreau ».

Ambroise HAREL, 22 ans

Ambroise HAREL, 22 ans. Cliquer pour développer.

« Nous passâmes sur une petite colline boisée de taillis de chênes que les obus commençaient à éclaircir. Sur cette colline, se trouvait le poste de commandement de notre colonel. Il y avait de fameuses sapes ! A partir de cet endroit notre trajet devenait plus dangereux ; tout le terrain à traverser était nu et visible des positions boches, aussi nous descendîmes le versant de cette colline, en colonne par un ; qu’est-ce qui tombait par-là, comme obus de 150 !

Soldat (anonyme)

Soldat (anonyme). Cliquer pour développer.

« Ce matin à 3 heures , nous avons pris position d’attaque devant  notre réseau de fils de fer, et là, couchés sur le ventre, en tirailleurs, nous attendions l’heure « H ». Tout était calme, pas un coup de fusil, à peine un coup de canon de temps en temps. Tout à coup, notre « 75 »  s’est mis à tirer si près de nous qu’il nous a fait peur.  Nous avons de suite envoyé des fusées pour faire allonger le tir, nous en avons envoyé plus de quarante ; un de nos »155 » est tombé en plein sur une section de la 13e compagnie, elle a presque été entièrement mise hors de combat. Le lieutenant Coton qui la commandait a été blessé. C’était la panique sur notre ligne ; tout cela a donné l’éveil aux boches, nous les avons vu sortir de leurs gourbis avec leurs armes et prendre leurs emplacements de combat, nous les entendions se transmettre leurs commandements et, de suite ils ont commencé à nous saler ! Pour ne pas nous faire massacrer dans le marais où nous étions, nous avons attaqué. Ça a à peu près bien marché sur la pente, mais quand nous avons été ici, à la crête, il a fallu tuer les mitrailleurs à leurs pièces, ils se sont défendus jusqu’à la mort,  ces cochons-là, et il y en a de nous qui ont été tués à bout portant, puis les balles pleuvaient tellement qu’il a fallu rester là, mais sans nos obus sur nos rangs, nous les aurions surpris dans leurs trous ».

Abbé DURQUET, 28 ans

Abbé DURQUET, 28 ans. Cliquer pour développer.

« Le 16, nous sommes en dès 5h30 ; à 9 h 15, nous traversons Maisy et l’Aisne  pour nous établir en formation d’alerte dans la vallée de Vassogne,  au nord de Beaurieux ; nous devons assister, au moins par l’ouïe, au combat qui se livre devant nous à Hurtebise ou environs. Les heures sont longues mais pas un obus ne tombe dans la vallée qui, pourtant, fourmille de troupes. A 21h 30, nous recevons l’ordre de revenir en arrière, de retraverser l’Aisne et d’aller cantonner à Glennes. Quelle déception ! Pour comble, une pluie dense se met à tomber ; les artilleurs battent eux aussi en retraite, obstruent la route ! La déception et les difficultés de la marche nous exaspèrent. »

Louis MAIRET, 23 ans

Louis MAIRET, 23 ans. Cliquer pour développer.

« 15 avril Père et Mère Chéris, Mon vingt-troisième anniversaire sera, je pense, un grand jour. Les lettres que vous m’écrivez et que j’ai reçues jusqu’ici me prouvent que l’arrière ne se fait aucune idée de l’ouragan qui, depuis huit jours, secoue ici la terre et les cieux. Tant mieux ; l’effet moral n’en sera que plus sûr et plus réconfortant. Je crois vous avoir dit que le colis de lettres annoncé n’avait pu partir ; mais j’ai donné des instructions pour qu’il vous parvienne, un jour ou l’autre, avec tout son contenu. Tout est en ordre. Je suis donc tranquille. Je n’ai d’ailleurs aucun pressentiment fâcheux ; non, vraiment, je vous assure. Et j’espère bien, une fois lavé de cette fumée, aller vous voir, en bonne santé et joyeux. A bientôt donc. Je vous embrasse de tout cœur en vous disant un grand « Au Revoir ! », car j’espère bien que la prochaine fois que je vous écrirai, ce sera en pays reconquis. Tendres baisers de votre fils aimant. Louis »

Raoul DESCAT, 22 ans

Raoul DESCAT, 22 ans. Cliquer pour développer.

« Jeudi, le 19 avril 1917. Je profite d’un petit moment de tranquillité pour te donner de mes nouvelles. Comme je te l’annonçais sur ma dernière carte, je suis monté à l’attaque dans la matinée du 16. Nous avons avancé jusqu’à la troisième ligne de tranchée ennemie que nous avons prise en dépit d’une résistance très opiniâtre. L’ennemi avait reçu l’ordre de tenir jusqu’à la dernière extrémité, ce qui explique le faible nombre de prisonniers. Je ne te raconterai rien, bien chère maman, sur les deux terribles journées que j’ai passées en ligne au cours desquelles j’ai souffert comme je ne l’avais jamais encore fait dans ma vie. Quand nous avons été relevés, hier matin, notre colonel pleurait en nous regardant passer ; il nous a accueillis en nous disant « bonjour mes chers petits » et a embrassé devant nous le capitaine « pour tous les braves qui revenaient avec lui ». Je suis depuis hier soir au repos dans un petit village à côté de Fismes, Baslieux (Aisne). J’ai passé toute la journée à nettoyer mes habits qui n’étaient plus qu’un véritable tas de boue. Au cours de l’attaque, j’ai rencontré Camille Labadie qui venait d’être blessé à l’épaule droite par un canon de fusil projeté sur lui par l’éclatement d’un obus, sa blessure est d’ailleurs sans gravité. Philibert a été également blessé à la jambe et au bras par des éclats d’obus. Je te quitte pour ce soir, bien chère maman, car je suis encore bien fatigué. Je crois que nous repartons d’ici demain. Les permissions sont toujours interrompues et je ne puis prévoir quand elles pourront reprendre leur cours car nous allons sans doute retourner sous peu à l’attaque dans un autre secteur. »

Alphonse JUIN, 28 ans

Alphonse JUIN, 28 ans. Cliquer pour développer.

« Dans la nuit du 15 au 16 avril, le lieutenant-colonel Cimetière, qui a pris le commandement du régiment en remplacement du lieutenant-colonel Maurice, glorieusement tombé pendant la préparation de l'attaque, dispose ses trois bataillons dans les tranchées de départ situées au nord de Vendresse, – deux dont le mien, le 5e, en premier échelon, et le 3e derrière, en soutien. Au petit jour, dans un élan magnifique, les djellabas franchissent les parapets et dévalent les pentes du ravin de Chivy. En flèche dès le début de l'action, fauchés de flanc par les mitrailleuses de Chivy et de la sucrerie de Cerny, qui tiennent désespérément, les Marocains collent au barrage, s'enfoncent dans le bois du Paradis dont ils neutralisent les défenseurs et mordent sur le Chemin des Dames. À midi, le 5e bataillon, bien qu'ayant perdu son chef, tombé au départ de l'attaque, avait poussé hardiment jusqu'au rebord nord du plateau au-dessus de Courtecon. Dans cette journée, infructueuse dans l'ensemble, le régiment avait marché selon l'horaire fixé, en dépit des mitrailleuses et des obstacles accumulés sur son chemin. Ses jeunes bataillons pouvaient, à juste titre, être fiers de leur premier combat. Le soir du 16 avril, le 5e en particulier, jalonnait la pointe la plus avancée de l'Armée Mangin, et encore ne s'était-il arrêté, comme l'indiquait la magnifique citation à l'ordre de l'Armée obtenue ce jour-là par le régiment, que par ordre pour permettre l'arrivée à sa hauteur de troupes voisines qu'il avait dépassées dans son élan. Dans les jours qui suivirent, le régiment marocain inaccessible au découragement produit par la déception du 16 avril, ne cessa de donner la mesure de sa solidité et de ses hautes vertus morales. C'est ainsi que discipliné et toujours confiant dans l'heureuse issue de la guerre, on le vit accepter, sans se plaindre, bien des missions pénibles que d'autres avaient refusé de remplir. »

Joseph FONSAGRIVE, 36 ans

Joseph FONSAGRIVE, 36 ans. Cliquer pour développer.

« L’heure de l’attaque est venue. Toute l’artillerie donne. A cet instant j’ai confiance. Puissent les Boches être pris de panique et lâcher pied. Dans le PC la conversation languit ; le capitaine V. Devant commandant intérimaire du groupe, le commandant B. ayant été évacué quelques jours auparavant, a un visage soucieux. Le sous-lieutenant L. assis près du téléphone fume en regardant un plan. Je ne puis tenir en place et je sors, décidé à tâcher de voir quelque chose. Franchissant la route, je monte dans les champs qui dominent le village. De là je commence à apercevoir les positions ennemies. La visibilité est excellente. Je continue à monter. Maintenant je vois toutes les positions du versant qui nous fait face, je vois même le plateau qui s’incline doucement vers la Suippe. Parfois un rideau de fumée me cache tel ou tel point, mais je distingue toujours l’ensemble. Où sont nos troupes ? Sur la Cote 108, par une fumée d’obus ; on dirait une immense dune ; sur la droite au-delà du mont Sapigneul, tombent des coups qui semblent faire barrage. C’est donc que nos fantassins se trouveraient là. En ce cas la Cote 108 et le mont Sapigneul seraient à nous. A la bonne heure ! Mais je ne comprends rien à ce qui se passe sur le mont Spin. Où sont les coups français, où sont les coups boches ? Il me semble toutefois que la densité des coups est très grande au sommet du mont Spin. Ce serait là, en conséquence, que nos fantassins se trouveraient arrêtés. Ah ! Voici que je distingue les flammes d’une batterie boche placée à la droite du mont Spin et qui prend d’enfilade la tranchée qui court à une faible distance de la crête. Elle tire sans discontinuer, les éclairs partent régulièrement et personne ne la voit, ou du moins personne ne tire dessus : c’est énervant. Il y a pis encore : le tir de notre artillerie se ralentit d’une façon inquiétante. Continuant à errer, je tombe sur le lieutenant W. qui surveille le tir de ses canons. Il a l’air très calme, mais avec un sourire navré, il me dit : je n’ai plus de munitions ; il ne me reste que quelques coups. Hélas ! Voilà pourquoi le tir s’est ralenti car les autres batteries doivent se trouver dans la même situation. Je redescends au village. Dans la rue principale des blessés légers passent. J’essaie d’avoir quelques renseignements. - Nous avons sauté dans la tranchée avant que le tir de barrage soit déclenché ; nous avons surpris les Boches : ils se sont rendus ; puis en sortant de cette tranchée j’ai été blessé. C’est tout ce que sait ce fantassin qui est certainement heureux d’en être quitte à si bon compte, car c’est au bras qu’il est blessé. »

Achille LIENART, 33 ans

Achille LIENART, 33 ans. Cliquer pour développer.

« On se masse dans le boyau. Premiers obus sur la ligne. A 6h juste, les compagnies franchissent le parapet et dévalent dans le ravin. Je suis la vague avec les médecins et les infirmiers. Le tir de barrage n’est pas fort mais nous avons 600 m à faire pour aborder le plateau de Craonne. Au fond du ravin nous passons le ruisseau à gauche d’une ferme sans nom sur la carte. Là les deux médecins se séparent. M. Lebecq part à droite, M. Férot à gauche, je le suis. Un seul musicien nous accompagne. Nous faisons encore 200 m et nous heurtons un tir de mitrailleuses qui balaie en croisant leurs feux le fond du ravin. Toutes les compagnies sont bloquées, les hommes alignés, collés à plat, ventre sur le sol. Les balles crépitent autour de nous et nous nous aplatissons à terre. M. Férot touché par une balle à la cuisse se relève et se jette en arrière, à l’abri d’un petit talus. Un éclat d’obus qui retombe m’écrase un peu l’orteil mais sans pénétrer. Je vais me coller à côté de M. Férot contre le talus. Les balles le rasent de près mais il nous protège, les obus tombant un peu au-delà de nous sans nous atteindre. Nous pensons que quand les régiments voisins auront avancé assez pour enlever les saillants entre lesquels nous nous sommes engagés, les mitrailleuses se tairont et nous recommencerons à avancer. L’heure passe et la situation ne change pas. Nous voyons plusieurs hommes qui se déplacent abattus par les balles boches. M. Férot va panser en rampant des blessés réfugiés dans des trous d’obus. L’un d’eux est le lieutenant Duvière. Impossible d’aller le chercher et il ne peut pas marcher. Il faut attendre l’avance ou la nuit. Nous pansons à plat ventre derrière le petit talus l’adjudant Choquet blessé à la figure et le caporal Combes qui a le bras cassé. Puis nous mangeons, couchés sur le dos un biscuit avec de la viande de conserve. La situation ne change pas. Que faire ? Envoyons le musicien demander les ordres du médecin chef. Mais il rencontre à 200 m nos infirmiers réunis autour du major, M. Lebecq, grièvement blessé. Il revient nous chercher. Nous descendons. Je donne à M. Lebecq l’absolution car il me paraît très sérieusement touché. Puis vois passer le 4e bataillon qui va attaquer le tourillon de Vauclerc qui nous mitraille. Fais un pansement. Puis causer à quelques hommes et officiers. Vois le capitaine Battet mais sans pouvoir lui parler. Le capitaine Battet qui commandait notre 4e bataillon, d’abord engagé en seconde ligne à notre extrême droite a vu les 5e et 6e bataillons arrêtés de front dans le ravin par la résistance de la tranchée du Balcon qui domine tout et par les feux croisés du saillant de Jutland à droite et du tourillon de Vauclerc à gauche. Mais il a aperçu sous le tourillon un petit boyau montant au Balcon, qui ne paraît pas occupé par l’ennemi. Il a conçu l’idée d’attaquer par ce boyau la tranchée du Balcon. Il emmène en colonne par un, son bataillon derrière lui par le fond du ravin, se glisse sous bois, atteint le boyau. Là il s’arrête un instant pour réunir autour de lui ses grenadiers. Puis il les lance à l’assaut de la tranchée du Balcon en la prenant à son extrémité. En quelques minutes la tranchée est nettoyée, l’ennemi chassé et sur les pas des grenadiers, les compagnies qui ont bien servi s’installent sur la position où les restes des 5e et 6e bataillons viennent les rejoindre. Deux compagnies du 6e bataillon passent plus loin enlèvent d’assaut la 2e tranchée : celle des Sapinières au sommet de l’étroit plateau. Par ce coup de main hardi, le 201e est maintenant le régiment le plus avancé de toute la 1ère division, car le 43 à notre gauche n’a pu enlever sur le plateau de Vauclerc que la 1ère tranchée et le 1er d’infanterie à notre droite est arrêté devant Craonne. Nous sommes découverts sur nos deux flancs.

Rémy MARCHAND, 22 ans

Rémy MARCHAND, 22 ans. Cliquer pour développer.

« Nous apprenons que les Boches reculent sous le terrible feu de notre artillerie. Le régiment passe la journée entre Jumigny et Blanc-Sablon. Les premières lignes étaient devant ce village. Au cours de la journée, la division fait plus de mille prisonniers, et prend du matériel de toute sorte. Le 33e colonial qui a attaqué devant nous a été décimé par les mitrailleuses ennemies et nos 75 qui tiraient sur eux, ce qui se produit souvent au cours d’une attaque : les artilleurs n’allongent pas assez leurs tirs, et l’on se trouve pris dedans. Les obus de 75 sont des plus meurtriers : ces canons étant à tir rapide, les ravages causés par lui sont très grandes dans les lignes boches. Mais il ne faudrait pas que cet engin destiné à tuer les Allemands soit employé à massacrer les Français. Au cours d’une attaque, chaque chef de section est muni de fusées spéciales de deux modèles : des rouges pour demander le barrage à l’artillerie, et des vertes pour faire allonger le tir. Cela devait suffire aux officiers d’artillerie pour régler leurs pièces en conséquence. »

Marcel GUENOT,

Marcel GUENOT, . Cliquer pour développer.

« Il est 5 heures 54 minutes. Toute notre artillerie est en action. C’est effroyablement grandiose. Les Allemands ne ripostent que faiblement et sur nos arrières, visant apparemment la route 44 et le passage du canal, pour gêner l’arrivée de renforts ou de convois de ravitaillement divers. Le bruit de toute cette artillerie, c’est l’orchestre démoniaque qui joue l’introduction, l’ouverture de « La Marche à la mort ». Enfin, voilà, cette attente insupportable est terminée. Nous n’en pouvons plus. Il est 5 heures 59 minutes, c’est l’heure du saut du parapet.

Louis MAUFRAIS, 27 ans

Louis MAUFRAIS, 27 ans. Cliquer pour développer.

« Nous attendons toute la nuit sur le bord de la route, et je roule des cigarettes pour passer le temps. Au-dessus de nos têtes, le bombardement est incessant. Tout d’un coup, le vacarme est éclipsé par l’écho d’un véritable tremblement de terre. C’est une mine qui saute sous la cote 108. Immédiatement une autre, une allemande, lui répond. Enfin, dès qu’il fait jour, vers six heures, on entend des crépitements de mitrailleuses au loin : l’offensive commence. Peu à peu, on voit passer de petits blessés qui s’en vont sur la route, en direction du sud, puis des brouettes, des porte-brancards, des ambulances. Un Russe, un gars immense, il fait bien deux mètres, large comme un meuble. Un pansement sur la tête, il se tient sous la pluie, contre le portail de l’église de Cormicy, l’œil vague, débraillé, la braguette déboutonnée. J’essaie de lui faire comprendre que nous sommes à sa disposition, s’il a besoin de quelque chose. Il ne répond pas. Enfin, à dix heures, arrive l’ordre de retourner sur nos positions. Le Russe est toujours là, dans le même état comateux. »

André ZELLER, 19 ans

André ZELLER, 19 ans. Cliquer pour développer.

«  Avant le lever du jour, le colonel quitta le PC « Rivoli » pour rejoindre le nouveau poste de première ligne, où il devait assister au débouché de l’attaque.

Charles HANIN, 26 ans

Charles HANIN, 26 ans. Cliquer pour développer.

« Je grimpe à l’observatoire. Cinq heures cinquante-cinq minutes ; H-5 de ce jour J  qu’est le 16 avril 1917.

Georges GRAS, 26 ans

« 6h00. En quelques pas j’atteins la lisière, puis la chicane, comme à la manœuvre, aussi loin qu’on peut voir, nos hommes surgissent pour se ranger en formations de combat devant les barbelés. Et de partout, un geste. En avant ! Tandis que nos obus s’acharnent encore sur la ligne ennemie, nous progressons posément dans le vallon rempli d’une légère brume. Il faut contourner les trous, sauter les arbres abattus, les sections de droite s’embourbent dans la terre spongieuse et d’instinct se rabattent sur des terrains plus fermes. Tandis que les compagnies de gauche en terrain dégagé, abordent le saillant et commencent à l’escalader, nous grimpons à grand peine les derniers contreforts à l’est de l’éperon, et nous voici en vue de notre objectif : « La Strypa ». C’est alors le coup d’arrêt brutal, inexorable. Comme un coup de baguette, un tir d’armes légères, où les mitrailleuses mènent le bal, se déclenche en ouragan. La ligne d’assaillants, dont les éléments avancés, tiennent les abords de l’église, est littéralement piquée au sol par des tirs de face, des tirs d’enfilade. Venant de Chevreux et de « la Strypa », des tirs plongeants – les plus meurtriers – venant des arêtes de la falaise. La densité du feu est telle qu’il semble qu’un essaim tourbillonnant de balles nous cherchent dans tous les sens. De notre position en contrebas toute riposte est impossible. Rien à faire que de se terrer, de s’abriter au mieux pour laisser passer l’orage. »

George GRAS, sous-lieutenant, cdt la 3e section de la 4e compagnie de mitrailleuses du 233e régiment d'infanterie

Xavier CHAÏLA, 30 ans

«16 avril 1917. Pour nous, nous marchions avec la 2e division de cavalerie comme régiment à pied. […] l’infanterie devant attaquer à six heures. Le feu de l’artillerie atteint alors sa plus grande intensité. Le ciel était une fournaise. On n’entendait rien au milieu du fracas des pièces. […] On passa l’Aisne sans accident et tout marcha à peu près bien tant qu’on fut dans nos anciennes tranchées. Après, comme entre les deux lignes il n’existait pas de boyaux, on dut franchir la distance à découvert, mais les Boches, nous ayant aperçus, bombardèrent le passage avec des [obus de] 210. […] »

« Il y eut plusieurs blessés que nous ramassâmes pour les porter en arrière, ce qui n’était pas une mince affaire, devant circuler dans des boyaux obstrués. Néanmoins, nous arrivâmes à un poste de secours de brancardiers divisionnaires qui refusèrent de recevoir nos blessés parce qu’on n’était pas de leur division. […] Sur la berge du canal, il y avait au moins 400 blessés grièvement. Le médecin chef était fou : quoique cette offensive fût prévue depuis longtemps, il n’existait rien pour l’évacuation des blessés. […] C’était les prisonniers boches qui devaient évacuer avec des brancards sur une distance considérable. Certains de nos blessés durent rester 48 heures sur la berge du canal, sous la pluie, le froid et les obus. Un grand nombre y succombèrent, faute d’avoir été soignés en temps utile. »

« Il est impossible, sans avoir vu, de se figurer un pareil bouleversement. On se serait cru dans un paysage lunaire. Pas un pouce de terre qui n’eût été remué. Le sol était blanc de craie rejaillie des profondeurs. Il n’existait plus ni boyaux, ni tranchées, ni fil de fer, pourtant tout était en ciment armé. »

Xavier CHAÏLA, brancardier au 8e cuirassiers

C’est à Craonne, sur le plateau… Journal de route 1914-15-16-17-18-19 de Xavier Chaïla, présenté par Sandrine Laspalles, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1997

Gabriel Barret, 24 ans

« Dispersés par petits groupes, isolés dans les entonnoirs, nous sommes directement aux prises avec les boches... peu nombreux, semblait-il, au début de l’attaque, ils sont sortis de leurs trous profonds, comme des frelons et ils nous harcèlent de tous les côtés, sous un véritable déluge de grenades... Au prix de dangers inouïs, deux hommes viennent d’aller en arrière chercher un peu d’eau... à leur retour, ils nous rendent compte qu’aucune relève n’est, pour le moment, envisagée... Nos effectifs sont réduits des deux tiers, nous faisons donc partie du tiers restant. Nous sommes épouvantablement sales et sans sommeil depuis un temps qui nous échappe. Le moindre petit coin de ce champ de bataille hallucinant ferait frissonner jusqu’à la moëlle, l’être humain le plus insouciant qui s’y trouverait transporté... avec un seul caporal, je commande la section ou plutôt ce qu’il en reste. Au cours des premières minutes de l’attaque, nous nous sommes trouvés nez-à-nez avec les Fritz qui nous ont fixés devant leur deuxième ligne installée sur la crête. Comment la 1ère vague, partie devant nous, a-t-elle pu fondre aussi vite, disparaître aussi complètement... leurs mitrailleuses aux aguets s’acharnent sur tout ce qui apparaît, sur tout ce qui bouge... rien d’autre à faire, qu’à subir ce tir inflexible, dominateur, car, nous savons qu’il n’y a aucun renfort derrière nous. Nous avons l’impression d’avoir été abandonné... on nous dit de « tenir » ... nous voilà à bout, complètement à bout... et dans quel état, au milieu des cadavres et des excréments, englués dans une boue infecte »

Gabriel BARRET, sergent au 127e régiment d'infanterie

Collection Carron-Masbou-Seguin, Collections départementales de l'Aisne

Pierre ROBIN, 20 ans

« Il est 6 heures, c’est l’heure H, dans toute le secteur la grande bataille est commencée et effectivement à ma droite vers Craonne, fusillade intense, les mitrailleuses parlent, le silence de tout à l’heure est disparu. C’est le 1 er  d’infanterie qui attaque Craonne. […] A 6 heures et demi j’arrive en position dans la cuvette de Craonnelle, ils doivent attaquer vers le saillant de Vauclerc, petite falaise presque à pic (je voyais cela par temps calme). Deux bataillons (les 5 e  et 6 e ) participent à l’attaque (environ 2000 hommes), les soldats n’ont pas fait 50 mètres qu’un feu de mitrailleuses les arrêtent sur place et au bout d’une heure ordre est donné d’arrêter. Il faut essayer d’évacuer les blessés, de rassembler les valides et d’attendre les unités qui viennent derrière le régiment d’assaut. Ces unités devaient être à leurs côtés vers 8h (H + 1h45), c’est la raison pour laquelle les Allemands font en ce moment leurs tirs de barrage. 

Je suis à quelques dizaines de mètres du poste de secours de Craonnelle, que je commence à entendre les cris de douleurs, les appels, les plaintes. J’avance, je suis à l’entrée du poste de secours installé dans une espèce de creute et... c’est la catastrophe. Je fais trois pas et je m’arrête, bouleversé, anéanti, ce que je vois, ce que je sens, ce que j’entends est impossible à décrire, à écrire, car tout cela fait un tout, c’est inimaginable.

Ce que je vois : des soldats couchés, qui sur des brancards, qui à terre sur la paille, il y en a des centaines et courant des infirmiers, des médecins qui se baissent, font des pansements. Plus loin, je ne peux dire combien, des tables sur lesquelles les grands blessés sont aux mains des chirurgiens ; tous pleins de sang.

Ce que je sens : cette odeur de sang fade qui vous prend à la gorge ; l’éther, l’iode, tout cela vous soulève le cœur.

Ce que j’entends : alors cela est terrible, que les humains qui désirent la guerre viennent entendre des plaintes des mourants, mais aussi les dernières réactions, les derniers appels : « Ma femme, mes enfants, je veux les voir... » ; « Maman, ma pauvre maman, tu ne me verras plus... » ; « Achevez-moi, je souffre trop... » ; « Et moi, salauds, occupez-vous de moi, je meurs... ». Ce sont quelques phrases qui restent dans mes souvenirs, mais combien il y en avait d’autres. Les plaintes, les cris de souffrance sur tous les tons, cet ensemble cloue véritablement au sol le soldat indemne que je suis ; car cela est plus pénible, plus impressionnant que de se trouver dans la bataille. C’est ainsi que je reste plusieurs minutes incapable de réagir, il faut dire que je suis extrêmement fatigué. Depuis huit heures je suis debout à me défendre contre la mort et je n’ai ni bu, ni mangé ; mes jambes n’en peuvent plus, ma tête n’est plus d’aplomb. »

Pierre ROBIN, brigadier au 151e régiment d’artillerie à pied

Extrait des carnets de Pierre ROBIN

Paul CLERFEUILLE, 31 ans

« Nous avons des vivres pour six jours, nous n’avons emporté que le nécessaire. Linge, couvertures, nous en avons fait des petits colis qui sont restés à l’arrière, gardés par des soldats désignés et qui ont leur père ou frère tués aux armées. Les vivres que nous emportons constituent six jours, boites de bœuf, porc, sardines, chocolat, pain, biscuit, pâté, café, sucre, haricots et farine, pomme de terre en fécule etc. Également du pinard, le café, la goutte mêlée d’éther. Moi, je porte mes vivres, un bidon de goutte, un bidon de café que j’ai préféré au vin, quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz sans oublier mon casque.

 C’est le premier bataillon qui part le premier, puis le nôtre. Hélas, nous sautons sur les parapets et arrivons sur la petite route d’Oulches à Craonnelle où aucune circulation n’a lieu depuis quatre ans, puis nous sautons dans les champs ; nous heurtons des morts de la première vague, ainsi que de notre régiment parti il y a 15 minutes. Nous remplaçons un bataillon qui n’a presque plus personne, mon escouade va remplacer une escouade de grenadiers qui furent tués par un obus allemand. Ils  étaient blottis dans l’entrée d’un gourbi allemand. L’obus tomba malheureusement dans le groupe. Pas un seul n’échappa à la mort. Quelques -uns agonisèrent lamentablement, sans que dans cet enfer, il fût possible de les secourir. Quelques-uns, avant de rendre le dernier soupir, eurent la force de se trainer 5 à 6 mètres. Ils sont tous là, pêlemêle, je garde le souvenir de l’un d’eux, mort, tombé sur le dos, le bras gauche en l’air comme s’il faisait voir les cieux ; il a au poignet une montre-bracelet. Quelle vision lugubre ! 

 Le temps passe, bientôt le jour pointe. Nous en profitons pour aller à la première section chercher une caisse de grenades. Pour traverser en face de la mitrailleuse, nous marchons à quatre pattes et même nous rampons. Nous arrivons à 80 mètres environ. Quel spectacle ! Des tas de morts du 127e, 273e et 276e. Nous en sommes écœurés, nous avons les larmes aux yeux. Quelques sénégalais morts eux aussi plus à gauche. Le jour arrive, mardi 17 avril, nous sommes gelés et une eau glaciale a succédé à la neige. »

Paul CLERFEUILLE, soldat au 273ème régiment d'infanterie

« Un simple soldat sur le Chemin des Dames : Paul Clerfeuille », dans OFFENSTADT Nicolas (dir.) Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 152-175.

Alfred BEERMANN

« A l’aube, je venais juste de revenir de la tranchée quand le sous-officier de garde sonna l’alerte : « Les Français attaquent ! ». Comme je portais sur moi encore mon équipement je fus le premier à sortir.

L’ennemi avait déjà envahi la deuxième ligne et se massait devant nos lignes dans de grands cratères.  Cela signifiait leur perte car de nos positions nous avions une vue claire de l’intérieur de ces cratères. Avec seulement quelques soldats avec moi nous avons immédiatement ouvert un feu rapide.

J’ai donné l’ordre de tirer seulement dans les cratères qui étaient plein à déborder, car il était essentiel que chaque coup porte. Nos tirs ont eu un effet extraordinaire.  En un rien de temps quelques français ont cherché à s’échapper. Une nouvelle fois j’ai ordonné : « Tirez strictement à l’intérieur des cratères ». Car comme j’avais été entrainé j’étais le meilleur tireur de ma section. J’entrepris alors d’abattre ceux des adversaires qui tentaient de s’enfuir. Le Gefreiter Schulz chargeait les fusils pour moi ainsi il n’y avait pas de temps mort. Après chaque tir notre confiance grandi et je criai : « Aucun d’entre eux n’en rééchappera ».

Tout à coup un avion apparut et lança une bombe sur notre gauche. Le camarade Eichoff fut touché et tomba à mes pieds, perdant son sang. Il est mort dans les bras de l’infirmier quelques secondes plus tard. Nous avons continué de tirer et plus que jamais des Français se sont repliés. Parmi eux il y avait un lieutenant. Le premier tir le manqua, mais il faisait des bonds trop lents. La seconde balle ne le toucha pas non plus; un juron s’échappa de mes lèvres. Finalement, avec mon troisième tir, je l’ai touché à la tête au moment où il essayait de rejoindre un trou d’obus.  Il tomba et resta complètement immobile. A ce moment, sur notre gauche, là quelques Français ont essayé de pénétrer dans notre partie de tranchée. Le camarade Koschinsky nous a couvert dans cette direction. Il a fait du bon travail, si bien que nous avons pu calmement continuer notre tir de destruction.

Soudainement des soldats français ont pénétré dans notre tranchée par derrière. J’ai vu un coup de baïonnette arriver vers moi mais je me suis sauvé en plongeant la tête la première dans l’entrée d’un abri. Capturé ! Les soldats français m’ont crié de sortir. Un français blessé pointa son fusil sur ma tête et était sur le point de tirer. Instantanément je me suis contorsionné comme une anguille. La balle ennemie a déchiré mon insigne de col. Le combat était sans issu. J’étais définitivement capturé. Mon apparence devait être affreuse. Comme me l’a décrit plus tard mon camarade Fritz, mon uniforme était en lambeaux et rouge du sang de mon camarade tué. J’étais livide par le choc. C’est ainsi que je partis en captivité. »

Alfred BEERMANN, soldat de la 2ème compagnie du 418e Infanterie Regiment.

Das Heldenbuch vom Infanterie-Regiment 418, Christian Leutnant Der Resrve. Karl. Frankfurt am Main, 1935

H. SIEBERSLEBEN

« Enfin le 16 avril, un jour que je n’oublierai jamais, débuta l’offensive de l’infanterie adverse. Avec des cris d’urgence, les rares commandants appelaient leur poignée d’hommes. Les armes étaient couvertes de boue, les mains raides et douloureuses ; néanmoins, ici et là retentissait le bruit d’une mitrailleuse. Des grenades à main explosaient alors que nous rampions ou bondissions de trous d’obus en trous d’obus, perdant du terrain graduellement car nous ne pouvions pas endiguer la supériorité numérique des Français. C’était un chaos complet ! Mais l’ennemi hésitait ; ils n’avaient pas envisagé de rencontrer une telle résistance puis, comme si elles arrivaient du paradis, des réserves furent employées pour renforcer notre défense plus ou moins le long de notre position où notre troisième ligne de défense courait trois jours auparavant (Seitz-Linie). L’ennemi attaqua à plusieurs reprises, mais fut repoussé à chaque fois. Dès que l’obscurité vint, nous nous sommes repliés près d’Ostel puis dans la ligne de défense Malmaison. »

H. SIEBERSLEBEN, soldat de la 1ère compagnie du 418e Infanterie Regiment.

Das Heldenbuch vom Infanterie-Regiment 418, Christian Leutnant Der Resrve. Karl. Frankfurt am Main, 1935

Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, 21 ans

« Un court crépitement de mitrailleuses m’inquiète soudain. Devant nous, des hommes courent.  Dispersés, et il y a dans le bruit et la fumée quelque chose d’anormal. J’ai l’impression que nous sommes près de l’ennemi, et, à nouveau je porte mon sifflet à mes lèvres. Une série de petits coups de sifflet rapides et ma section se déploie en tirailleurs sans cesser de marcher. Je suis ainsi plus tranquille : s’il y a une surprise nous serons en formation de combat... Sous la menace que nous sentons peser, notre marche s’accélère. Nous abordons la première tranchée boche. Tout y est bouleversé à un point incroyable et le réseau n’est plus qu’un souvenir... Nous nous arrêtons une seconde, le temps de souffler et de reprendre un peu d’alignement... Nous repartons. Palmier me crie à ce moment : -    Balancez votre canne !  Hé oui ! Je sais bien ! il a raison ... Je la plante d’un coup sur le parados de la tranchée pour en marquer la prise de possession définitive. Comme nous avançons toujours, les premiers cadavres nous apparaissent, dispersés çà et là, de nos camarades qui, il y a quelques minutes, sont partis devant nous, et tout à coup ..Tac tac tac tac tac tac…Une terrible rafale nous cloue sur place…

La nuit est maintenant complète. Le silence et l’obscurité m’enlèvent le peu de moyens qui me restent et mon désarroi est sans bornes… Je ne tiens plus debout, et, comme un chien qui tourne avant de se coucher, je cherche un endroit propice pour m’étendre. Mais la pluie s’est mise à tomber et le sol est partout gluant et boueux. Toujours la pluie pour nous achever. À bout de force, je m’assieds sur place, et comme le froid me pénètre, je défais mon sac de couchage que je porte en sautoir. Je ne peux y introduire que mes jambes car mon équipement me gêne pour y pénétrer plus avant. Adossé à un mur de terre, je reste ainsi, morne et accablé, sans autre pensée que celle de la mort toujours présente et qui nous attend au jour. Palmier est pelotonné à côté de moi, dans le noir. Nous nous retrouvons tous les deux comme aux jours de grande misère, silencieux l’un et l’autre, immobile sous la pluie qui tombe doucement. Peu à peu, sous l’effet de l’écrasante fatigue, mes yeux se ferment. Des lueurs apparaissent à travers mes paupières, et je sombre dans un sommeil glacé. »

 Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, lieutenant au 5e régiment d'infanterie coloniale

Joseph Tézenas du Montcel, L’Heure H étapes d’infanterie 14-18, Éditions Economica, Paris, 2007

Georges Gaudy, 22 ans

« Minuit ! La compagnie s’ébranle. […] Je remarque des passerelles sur le cours d’eau. Chaque bataillon à les siennes pour le franchir. Les crêtes du Chemin des Dames émergent du brouillard. Les troupes de rupture doivent se préparer là haut. Je songe aux Sénégalais qui s’installent en ce moment dans les places d’armes et les parallèles de départ, avec leurs faces silencieuses. L’artillerie donne éperdument. Des batteries nouvelles se sont démasquées. Mais nul d’entre nous ne voit rien. Chacun devine, ayant déjà vu. Ce bruit nous excite, nous ne sentons plus la fatigue, et l’on s’impatiente en attendant l’heure. […] en me retournant, j’aperçois les collines au sud de l’Aisne, noires de troupes. L’infanterie s’avance en petites colonnes, le long des buissons ; la cavalerie, que nous n’avions pas vue depuis tant de mois, se rassemble là-bas par escadrons ; sur une route, de gros camions paraissent ; ils s’arrêtent, prêts à suivre la progression. Partout, les casques bleus étincellent. Et de sentir derrière nous tout ce monde massé, devant nous ces soldats éprouvés, notre enthousiasme grandit, se décuple. […] Les voies humaines se taisent. On écoute, on attend. Et déjà l’évènement effroyable et grandiose est commencé. De tous les trous où ils se blottissaient, les hardis lutteurs de la première minute se sont élancés ; ils sont en marche, ils sont partis. Partout, les points d’or pâles des fusées montent dans le ciel mouillé, et voici que s’élève, impérieux, le tac tac des mitrailleuses.

Une batterie de 75 passe au galop et les servants nous jettent : Nous arrivons sur un plateau, le plateau de Paissy. […] En avant de nous, on ne voit rien qu’un terrain nu, avec des herbes et des rochers : à droite, un ravin encaissé dans lequel se trouve le village de Vassogne. Nous sommes à quatre kilomètres de la ligne de bataille. Quelques balles viennent mourir autour de nous. Les mitrailleuses tirent toujours, tantôt isolément, tantôt avec ensemble ; leur bruit parait parfois s’éloigner, parfois se rapprocher.

Le silence de l’artillerie nous surprend. La zone que nous traversons devrait être écrasée déjà sous les tirs de barrages. […] Tout à l’heure, les poilus plaisantaient, criaient d’une escouade à l’autre des mots drôles ou féroces. Ils écoutent maintenant le tir de l’artillerie française diminuer de violence. Les mitrailleuses boches font trêve quatre à cinq minutes, puis recommencent à dérouler leurs bandes. Je considère Craonne, haute muraille, estompée dans des brumes. Le 1er corps qui l’attaque a le plus dur morceau. […]

Le poste de secours est tout prêt, dans une grotte. Si j’allais voir… ? En quelques bonds j’arrive au chemin, à l’entrée d’un boyau d’où sortent des blessés. Presque tous sont des tirailleurs. Beaucoup n’ont pas de pansement. […] D’autres arrivent boitant et s’appuyant sur leur fusil, car ils n’ont pas lâché leur fusil. La boue qu’ils piétinent prend par endroits la teinte du sang qu’ils y laissent. Je les questionne, mais invariablement, ils répondent : Y’a pas du bon ! […] Sans cesse, des blessés entrent dans l’abri, d’où les premiers, rapidement pansés, sortent en arborant leur fiche d’évacuation […]. Plusieurs des nôtres expliquent bruyamment ce qu’ils ont vu : ils sont sortis à six heures deux, et tout a bien marché au début ; les vagues, suivant le barrage roulant, ont atteint la position ennemie ; pas de Boches. Elles ont progressé selon les ordres reçus, et soudain des feux de mitrailleuses les ont prises de flanc. Les mitrailleurs ennemis étaient cachés dans les creutes. Alors il a fallu commencer l’assaut de ces réduits ; mais les compagnies étaient déjà décimées, les officiers tués. Chacun a compris que la tentative était manquée une fois de plus. »

Georges Gaudy, caporal au 57ème Régiment d'infanterie

Extraits de Georges GAUDY, Le chemin des Dames en feu, Paris, Plon, 1923.

Officier allemand (anonyme)

« Au matin de l’offensive, il manquait tout soutien de la part de notre artillerie. Nos avions de chasse n’ont pas réussi à nous garder à distance des avions ennemis, contrairement à Verdun et à la Somme, il n’y a eu que peu d’attaques et elles étaient peu vigoureuses de la part de nos avions de chasse, la plupart du temps ils se sont limités à ne donner que quelques tirs à des distances beaucoup trop longues, avant de faire demi-tour en évitant la bataille. Nos canons anti-aériens ont complètement échoués. Quelques avions ennemis ont tournés au-dessus de nos positions, sans recevoir de tirs de nos canons anti-aériens placés trop en arrière du front. Nos mitrailleuses anti-aériennes ont en revanche tirés 4000 coups par jour, mais elles recevaient en échange des tirs d’artillerie français.

Pendant des heures nos mitrailleuses ont crépités. Les noirs qui avaient réussi à passer les lignes furent tués ensuite en combat rapproché […]. Lors du premier assaut ennemi, nous avons fait l’expérience que l’infanterie n’a pas assez utilisée son arme principale : le fusil. La plupart ont attendu jusqu’à ce que l’ennemi se soit approché à distance d’un jet de grenade pour les repousser. A 7 heures du matin, 2000 grenades à manche ont été consommées. Seulement une fois les grenades épuisées, les hommes ont utilisé leur fusil. Quelques-uns ont tirés 700 balles en un seul jour. La compagnie dans la Caverne de La Creute a utilisé plus de 15 000 balles ce jour-là ».

Officier allemand (anonyme), du RIR 92

Rapport d’un officier du RIR92 en poste près de la ferme d’Hurtebise, Caverne du Dragon, le 16 avril 1917. Generallandesarchiv Bade-Wurttemberg, Karlsruhe, GLA 456 F1 253.

Jean Henri JAYMES, 40 ans

« Quittons le bivouac [bois sud de Roucy] à 5 h19, traversons Roucy, Pontavert et toutes les lignes de grosse artillerie, c’est un vacarme étourdissant ; huit heures, c’est en pleine bataille. A la sortie de Pontavert, nous trouvons l’artillerie, batterie de 75, qui avance, le bois des Buttes est à nous ; à certains endroits la route 44 est dégagée ; c’est cette route que nous devons réparer. A 9 heures nous touchons les outils à la ferme nord-est de Pontavert ; là nous attendons les ordres. De 9h à 13h, il passe 5 convois de prisonniers, environ 600 à 15 heures et 16 heures, deux autres convois, en tout 900 à 1000. A 16h30, nous recevons l’ordre de camper, la route où nous devons aller travailler n’est pas encore dégagée, c’est du côté de Berry au Bac qu’il y a beaucoup de résistance. L’attaque n’a pas marché comme c’était prévu, l’ennemi avait beaucoup de troupes et devait attaquer 24 heures plus tard ; nous avons devancé ses projets ».

Jean Henri JAYMES, sergent au 141ème régiment d'infanterie territoriale

 Extrait du carnet de Jean Henri JAYMES,  page 303. Aux Heures Graves. Editions Cairn, 2019

Cyprien ETCHEGOYEN, 20 ans

« Là-haut, les troupes d’attaque grimpent sous le déferlement des tirs de barrage ennemis. Ils s’en vont, les braves, à la conquête du ciel, tant c’est haut cette tranchée du plateau qui commande à la vaste plaine. On les croirait voir s’agripper à des remparts de citadelle. Et ceux qui roulent, ah ! Ceux-là, sont nombreux ! On n’avance pas. Et nous avons la mort dans l’âme. Cependant nous poussons, nous poussons toujours dans l’espoir que la ligne d’attaque s’ébranlera sous notre effort même. Mais, là-bas, la résistance est brutale. La surprise n’existe plus. Les tanks, qui ont couvert la marche de l’infanterie sur le tapis de Corbeny, sont immobilisés dans l’encadrement sans cesse renouvelé des explosions meurtrières. Une illusion est morte certainement pour ces admirables poilus livrés aux feux des mitrailleuses sans qu’ils puissent espérer des mastodontes d’acier l’écrasement des Allemands invisibles. Sur la crête de Vauclère la ligne française se réduit à chaque bond et les hommes chavirent en jetant en l’air leur fusil-baïonnette comme dans une fantasia où la mort commande au bourreau ».

Cyprien ETCHEGOYEN, sergent au 33 e  régiment d'infanterie

Mon Tour Viendra ! l’Enfer du Poilu , Paris, 1930

Ambroise HAREL, 22 ans

« Nous passâmes sur une petite colline boisée de taillis de chênes que les obus commençaient à éclaircir. Sur cette colline, se trouvait le poste de commandement de notre colonel. Il y avait de fameuses sapes ! A partir de cet endroit notre trajet devenait plus dangereux ; tout le terrain à traverser était nu et visible des positions boches, aussi nous descendîmes le versant de cette colline, en colonne par un ; qu’est-ce qui tombait par-là, comme obus de 150 !

A un moment, en plein tir de barrage, il fallut s’arrêter pour permettre au 5 e  bataillon d’avancer. Les quelques minutes que nous passâmes là, couchés sous les obus, me parurent bien longues ! Nous étions tout près d’un pauvre gourbi, caché sous les branches de chêne, et qui servait de poste de secours. Nous quittâmes ce point comme  l’on put, presque en désordre, en suivant les chefs des yeux, pour avancer au pas de course, sous le tir de barrage.  Mais nos nerfs avaient repris leur place. Nous étions calmés de nos premières émotions et nous eûmes vite fait d’atteindre le point de départ de l’attaque.

Après avoir dépassé notre première ligne, qui se composait de tranchées et boyaux pleins d’eau, quoique surélevés, nous arrivâmes près d’un large ruisseau au milieu des marais.  Pour passer là nous nous enfoncions jusqu’aux genoux et pourtant il fallait faire vite car les balles nous sifflaient aux oreilles. Deux mitrailleuses boches croisaient là leur tir pour empêcher les réserves d’arriver ; l’une tirait de Chevreux et l’autre de derrière Craonne. Cependant peu d’hommes furent touchés. En un clin d’œil je fus de l’autre côté du ruisseau, au pied du Tyrol, là j’étais à l’abri des projectiles et y fit la pause deux minutes en attendant le regroupement de mes hommes. Il y avait déjà, à ce point, grande affluence de poilus. 

La lutte se tenait au point culminant  de la colline  et des blessés nombreux  refluaient vers l’arrière.

Pendant tout ce temps, notre artillerie ne montrait pas une activité  extraordinaire : il semblait  que nous étions loin d’en avoir autant que sur la Somme.

Nous nous portâmes sur la ligne de combat. En cours de route, je trouvai dans un trou d’obus, un de mes anciens amis, l’adjudant Peyrouté, il avait reçu trois blessures dont l’une très sérieuse à la tête ; des brancardiers lui faisaient son pansement. Je le  quittai en lui serrant la main, sous une pluie de grenades à fusil.

Nous passâmes  auprès d’un abri de mitrailleuses en ciment armé, que nos obus n’avaient guère ébranlé ;  à l’intérieur  se trouvaient quelques caisses d’eau minérale, un sergent y découvrit un restant de bouteille de rhum.

Au moment où nous allions atteindre la crête, une grenade à fusil, que je vis tomber, blessa grièvement à la jambe un de mes poilus qui venait immédiatement derrière moi.

Le 4 e  bataillon ayant atteint le sommet du Tyrol ne pouvait plus progresser, il se faisait faucher à chaque mouvement par les mitrailleuses. La lutte se poursuivait à coups de grenades par les boyaux, mais étant dominées par les hauteurs du plateau de Craonne, les balles pleuvaient dru dans les boyaux, rendant ainsi toute progression impossible.

Le 5 e bataillon  s’était heurté au 4 e  et était resté sur la même ligne, le 6 e  s’était, à son tour, enchevêtré avec eux, de sorte que trois bataillons étaient mélangés, dans la plus grande confusion pour le commandement. Mes hommes et moi étions sur la ligne de combat, couchés le long d’un tronc d’arbre abattu ; les grenades à fusil et les balles pleuvaient toujours.

 Vers 10 heures, nous appuyâmes sur la gauche afin de serrer les rangs. Notre position, çà et là dans des trous d’obus, sur le saillant ouest du Tyrol, face à Craonne et à son fameux plateau,  n’était pas brillante. Les grenades à fusil, au cours de cette fin de journée, nous firent de nombreuses victimes ; une seule grenade blessa six hommes.

Dans l’après-midi, pendant plus d’une heure, notre 75 tira dans nos rangs, un peu sur ma droite ; une rafale de quatre obus y arrivait toutes les cinq minutes ; cependant, sans arrêt, des fusées blanches, pour demander d’allonger le tir, furent lancées mais rien n’y fit, un caporal et deux hommes y furent tués. Les défenseurs durent se sauver de ce point et Dieu sait quelle colère nous avions contre nos artilleurs. »

Ambroise HAREL, caporal au 233e régiment d'infanterie

Extrait de Mémoires d’un Poilu breton. Ambroise Harel. Edt Ouest France, 2014

Soldat (anonyme)

« Ce matin à 3 heures , nous avons pris position d’attaque devant  notre réseau de fils de fer, et là, couchés sur le ventre, en tirailleurs, nous attendions l’heure « H ». Tout était calme, pas un coup de fusil, à peine un coup de canon de temps en temps. Tout à coup, notre « 75 »  s’est mis à tirer si près de nous qu’il nous a fait peur.  Nous avons de suite envoyé des fusées pour faire allonger le tir, nous en avons envoyé plus de quarante ; un de nos »155 » est tombé en plein sur une section de la 13 e  compagnie, elle a presque été entièrement mise hors de combat. Le lieutenant Coton qui la commandait a été blessé. C’était la panique sur notre ligne ; tout cela a donné l’éveil aux boches, nous les avons vu sortir de leurs gourbis avec leurs armes et prendre leurs emplacements de combat, nous les entendions se transmettre leurs commandements et, de suite ils ont commencé à nous saler ! Pour ne pas nous faire massacrer dans le marais où nous étions, nous avons attaqué. Ça a à peu près bien marché sur la pente, mais quand nous avons été ici, à la crête, il a fallu tuer les mitrailleurs à leurs pièces, ils se sont défendus jusqu’à la mort,  ces cochons-là, et il y en a de nous qui ont été tués à bout portant, puis les balles pleuvaient tellement qu’il a fallu rester là, mais sans nos obus sur nos rangs, nous les aurions surpris dans leurs trous ».

Soldat (anonyme) du 4e bataillon du 233e régiment d'infanterie

Extrait de Mémoires d’un Poilu breton. Ambroise Harel. Edt Ouest France, 2014

Abbé DURQUET, 28 ans

« Le 16, nous sommes en dès 5h30 ; à 9 h 15, nous traversons Maisy et l’Aisne  pour nous établir en formation d’alerte dans la vallée de Vassogne,  au nord de Beaurieux ; nous devons assister, au moins par l’ouïe, au combat qui se livre devant nous à Hurtebise ou environs. Les heures sont longues mais pas un obus ne tombe dans la vallée qui, pourtant, fourmille de troupes. A 21h 30, nous recevons l’ordre de revenir en arrière, de retraverser l’Aisne et d’aller cantonner à Glennes. Quelle déception ! Pour comble, une pluie dense se met à tomber ; les artilleurs battent eux aussi en retraite, obstruent la route ! La déception et les difficultés de la marche nous exaspèrent. »

Abbé DURQUET, 49 e  régiment d'infanterie

Aux Heures Graves. Edt Cairn. Morlaix, 2019

Louis MAIRET, 23 ans

« 15 avril Père et Mère Chéris, Mon vingt-troisième anniversaire sera, je pense, un grand jour. Les lettres que vous m’écrivez et que j’ai reçues jusqu’ici me prouvent que l’arrière ne se fait aucune idée de l’ouragan qui, depuis huit jours, secoue ici la terre et les cieux. Tant mieux ; l’effet moral n’en sera que plus sûr et plus réconfortant. Je crois vous avoir dit que le colis de lettres annoncé n’avait pu partir ; mais j’ai donné des instructions pour qu’il vous parvienne, un jour ou l’autre, avec tout son contenu. Tout est en ordre. Je suis donc tranquille. Je n’ai d’ailleurs aucun pressentiment fâcheux ; non, vraiment, je vous assure. Et j’espère bien, une fois lavé de cette fumée, aller vous voir, en bonne santé et joyeux. A bientôt donc. Je vous embrasse de tout cœur en vous disant un grand « Au Revoir ! », car j’espère bien que la prochaine fois que je vous écrirai, ce sera en pays reconquis. Tendres baisers de votre fils aimant. Louis »

Dernière lettre de Louis MAIRET, sous-lieutenant au 8 e  régiment d'infanterie. Mort pour la France au bastion de Chevreux le 16 avril 1917, le jour de son anniversaire.

Louis MAIRET, carnet d’un combattant, 1919 ©BNF Gallica

Raoul DESCAT, 22 ans

« Jeudi, le 19 avril 1917. Je profite d’un petit moment de tranquillité pour te donner de mes nouvelles. Comme je te l’annonçais sur ma dernière carte, je suis monté à l’attaque dans la matinée du 16. Nous avons avancé jusqu’à la troisième ligne de tranchée ennemie que nous avons prise en dépit d’une résistance très opiniâtre. L’ennemi avait reçu l’ordre de tenir jusqu’à la dernière extrémité, ce qui explique le faible nombre de prisonniers. Je ne te raconterai rien, bien chère maman, sur les deux terribles journées que j’ai passées en ligne au cours desquelles j’ai souffert comme je ne l’avais jamais encore fait dans ma vie. Quand nous avons été relevés, hier matin, notre colonel pleurait en nous regardant passer ; il nous a accueillis en nous disant « bonjour mes chers petits » et a embrassé devant nous le capitaine « pour tous les braves qui revenaient avec lui ». Je suis depuis hier soir au repos dans un petit village à côté de Fismes, Baslieux (Aisne). J’ai passé toute la journée à nettoyer mes habits qui n’étaient plus qu’un véritable tas de boue. Au cours de l’attaque, j’ai rencontré Camille Labadie qui venait d’être blessé à l’épaule droite par un canon de fusil projeté sur lui par l’éclatement d’un obus, sa blessure est d’ailleurs sans gravité. Philibert a été également blessé à la jambe et au bras par des éclats d’obus. Je te quitte pour ce soir, bien chère maman, car je suis encore bien fatigué. Je crois que nous repartons d’ici demain. Les permissions sont toujours interrompues et je ne puis prévoir quand elles pourront reprendre leur cours car nous allons sans doute retourner sous peu à l’attaque dans un autre secteur. »

Lettre de Raoul DESCAT, caporal au 144 e  régiment d'infanterie

Raoul et Jean-François DESCAT, Je vous écris des tranchées, L’Harmattan, Paris, 2021

Alphonse JUIN, 28 ans

« Dans la nuit du 15 au 16 avril, le lieutenant-colonel Cimetière, qui a pris le commandement du régiment en remplacement du lieutenant-colonel Maurice, glorieusement tombé pendant la préparation de l'attaque, dispose ses trois bataillons dans les tranchées de départ situées au nord de Vendresse, – deux dont le mien, le 5 e , en premier échelon, et le 3 e  derrière, en soutien. Au petit jour, dans un élan magnifique, les djellabas franchissent les parapets et dévalent les pentes du ravin de Chivy. En flèche dès le début de l'action, fauchés de flanc par les mitrailleuses de Chivy et de la sucrerie de Cerny, qui tiennent désespérément, les Marocains collent au barrage, s'enfoncent dans le bois du Paradis dont ils neutralisent les défenseurs et mordent sur le Chemin des Dames. À midi, le 5 e  bataillon, bien qu'ayant perdu son chef, tombé au départ de l'attaque, avait poussé hardiment jusqu'au rebord nord du plateau au-dessus de Courtecon. Dans cette journée, infructueuse dans l'ensemble, le régiment avait marché selon l'horaire fixé, en dépit des mitrailleuses et des obstacles accumulés sur son chemin. Ses jeunes bataillons pouvaient, à juste titre, être fiers de leur premier combat. Le soir du 16 avril, le 5 e  en particulier, jalonnait la pointe la plus avancée de l'Armée Mangin, et encore ne s'était-il arrêté, comme l'indiquait la magnifique citation à l'ordre de l'Armée obtenue ce jour-là par le régiment, que par ordre pour permettre l'arrivée à sa hauteur de troupes voisines qu'il avait dépassées dans son élan. Dans les jours qui suivirent, le régiment marocain inaccessible au découragement produit par la déception du 16 avril, ne cessa de donner la mesure de sa solidité et de ses hautes vertus morales. C'est ainsi que discipliné et toujours confiant dans l'heureuse issue de la guerre, on le vit accepter, sans se plaindre, bien des missions pénibles que d'autres avaient refusé de remplir. »

Alphonse JUIN, capitaine du 1 er  régiment de tirailleurs marocains

Alphonse JUIN, Je suis soldat, Paris, Éditions du Conquistador, 1960, p.44-45.

Joseph FONSAGRIVE, 36 ans

« L’heure de l’attaque est venue. Toute l’artillerie donne. A cet instant j’ai confiance. Puissent les Boches être pris de panique et lâcher pied. Dans le PC la conversation languit ; le capitaine V. Devant commandant intérimaire du groupe, le commandant B. ayant été évacué quelques jours auparavant, a un visage soucieux. Le sous-lieutenant L. assis près du téléphone fume en regardant un plan. Je ne puis tenir en place et je sors, décidé à tâcher de voir quelque chose. Franchissant la route, je monte dans les champs qui dominent le village. De là je commence à apercevoir les positions ennemies. La visibilité est excellente. Je continue à monter. Maintenant je vois toutes les positions du versant qui nous fait face, je vois même le plateau qui s’incline doucement vers la Suippe. Parfois un rideau de fumée me cache tel ou tel point, mais je distingue toujours l’ensemble. Où sont nos troupes ? Sur la Cote 108, par une fumée d’obus ; on dirait une immense dune ; sur la droite au-delà du mont Sapigneul, tombent des coups qui semblent faire barrage. C’est donc que nos fantassins se trouveraient là. En ce cas la Cote 108 et le mont Sapigneul seraient à nous. A la bonne heure ! Mais je ne comprends rien à ce qui se passe sur le mont Spin. Où sont les coups français, où sont les coups boches ? Il me semble toutefois que la densité des coups est très grande au sommet du mont Spin. Ce serait là, en conséquence, que nos fantassins se trouveraient arrêtés. Ah ! Voici que je distingue les flammes d’une batterie boche placée à la droite du mont Spin et qui prend d’enfilade la tranchée qui court à une faible distance de la crête. Elle tire sans discontinuer, les éclairs partent régulièrement et personne ne la voit, ou du moins personne ne tire dessus : c’est énervant. Il y a pis encore : le tir de notre artillerie se ralentit d’une façon inquiétante. Continuant à errer, je tombe sur le lieutenant W. qui surveille le tir de ses canons. Il a l’air très calme, mais avec un sourire navré, il me dit : je n’ai plus de munitions ; il ne me reste que quelques coups. Hélas ! Voilà pourquoi le tir s’est ralenti car les autres batteries doivent se trouver dans la même situation. Je redescends au village. Dans la rue principale des blessés légers passent. J’essaie d’avoir quelques renseignements. - Nous avons sauté dans la tranchée avant que le tir de barrage soit déclenché ; nous avons surpris les Boches : ils se sont rendus ; puis en sortant de cette tranchée j’ai été blessé. C’est tout ce que sait ce fantassin qui est certainement heureux d’en être quitte à si bon compte, car c’est au bras qu’il est blessé. »

Joseph FONSAGRIVE, S/Lieutenant au 116e régiment d'infanterie lourde

Lieutenant FONSAGRIVE, En Batterie !, Paris, Librairie DELAGRAVE, 1919, p.197-198.

Achille LIENART, 33 ans

« On se masse dans le boyau. Premiers obus sur la ligne. A 6h juste, les compagnies franchissent le parapet et dévalent dans le ravin. Je suis la vague avec les médecins et les infirmiers. Le tir de barrage n’est pas fort mais nous avons 600 m à faire pour aborder le plateau de Craonne. Au fond du ravin nous passons le ruisseau à gauche d’une ferme sans nom sur la carte. Là les deux médecins se séparent. M. Lebecq part à droite, M. Férot à gauche, je le suis. Un seul musicien nous accompagne. Nous faisons encore 200 m et nous heurtons un tir de mitrailleuses qui balaie en croisant leurs feux le fond du ravin. Toutes les compagnies sont bloquées, les hommes alignés, collés à plat, ventre sur le sol. Les balles crépitent autour de nous et nous nous aplatissons à terre. M. Férot touché par une balle à la cuisse se relève et se jette en arrière, à l’abri d’un petit talus. Un éclat d’obus qui retombe m’écrase un peu l’orteil mais sans pénétrer. Je vais me coller à côté de M. Férot contre le talus. Les balles le rasent de près mais il nous protège, les obus tombant un peu au-delà de nous sans nous atteindre. Nous pensons que quand les régiments voisins auront avancé assez pour enlever les saillants entre lesquels nous nous sommes engagés, les mitrailleuses se tairont et nous recommencerons à avancer. L’heure passe et la situation ne change pas. Nous voyons plusieurs hommes qui se déplacent abattus par les balles boches. M. Férot va panser en rampant des blessés réfugiés dans des trous d’obus. L’un d’eux est le lieutenant Duvière. Impossible d’aller le chercher et il ne peut pas marcher. Il faut attendre l’avance ou la nuit. Nous pansons à plat ventre derrière le petit talus l’adjudant Choquet blessé à la figure et le caporal Combes qui a le bras cassé. Puis nous mangeons, couchés sur le dos un biscuit avec de la viande de conserve. La situation ne change pas. Que faire ? Envoyons le musicien demander les ordres du médecin chef. Mais il rencontre à 200 m nos infirmiers réunis autour du major, M.  Lebecq , grièvement blessé. Il revient nous chercher. Nous descendons. Je donne à M.  Lebecq  l’absolution car il me paraît très sérieusement touché. Puis vois passer le 4 e  bataillon qui va attaquer le tourillon de Vauclerc qui nous mitraille. Fais un pansement. Puis causer à quelques hommes et officiers. Vois le capitaine Battet mais sans pouvoir lui parler. Le capitaine Battet qui commandait notre 4 e  bataillon, d’abord engagé en seconde ligne à notre extrême droite a vu les 5 e  et 6 e  bataillons arrêtés de front dans le ravin par la résistance de la tranchée du Balcon qui domine tout et par les feux croisés du saillant de Jutland à droite et du tourillon de Vauclerc à gauche. Mais il a aperçu sous le tourillon un petit boyau montant au Balcon, qui ne paraît pas occupé par l’ennemi. Il a conçu l’idée d’attaquer par ce boyau la tranchée du Balcon. Il emmène en colonne par un, son bataillon derrière lui par le fond du ravin, se glisse sous bois, atteint le boyau. Là il s’arrête un instant pour réunir autour de lui ses grenadiers. Puis il les lance à l’assaut de la tranchée du Balcon en la prenant à son extrémité. En quelques minutes la tranchée est nettoyée, l’ennemi chassé et sur les pas des grenadiers, les compagnies qui ont bien servi s’installent sur la position où les restes des 5 e  et 6 e  bataillons viennent les rejoindre. Deux compagnies du 6 e  bataillon passent plus loin enlèvent d’assaut la 2 e  tranchée : celle des Sapinières au sommet de l’étroit plateau. Par ce coup de main hardi, le 201 e  est maintenant le régiment le plus avancé de toute la 1 ère  division, car le 43 à notre gauche n’a pu enlever sur le plateau de Vauclerc que la 1 ère  tranchée et le 1 er  d’infanterie à notre droite est arrêté devant Craonne. Nous sommes découverts sur nos deux flancs.

L’ennemi contre attaque pour nous rejeter du plateau dans le ravin. Il reprend la tranchée des Sapinières où disparaît la 23 e  Cie. Mais nous tenons ferme la tranchée du Balcon. Le capitaine Battet anime la résistance, il fait contrebattre par des mitrailleurs, les mitrailleuses du saillant de Jutland qui nous prennent à revers. Soudain il est frappé d’une balle à la tête. On le couche dans la petite clairière à l’extrémité gauche de la tranchée tandis qu’autour de lui on se bat au fusil et au revolver. Soudain notre 75 intervient, il envoie ses obus en plein sur les assaillants qui s’enfuient. Le capitaine blessé ne tombera pas aux mains de l’ennemi. La position qu’il a conquise sera conservée. Grâce à lui nous avons pris une position formidable et nous avons sauvé l’honneur malgré le lamentable échec de notre puissante offensive. Bientôt, dès que le 1 er  d’infanterie à notre droite aura pu déloger les mitrailleurs ennemis du saillant de Jutland, on pourra circuler dans le sinistre ravin.

Pendant que se déroulent ces événements, j’apprends que dans la ferme « sans nom » beaucoup de blessés se sont réfugiés et attendent des soins. J’y vais avec le docteur Férot. L’endroit est mauvais, repéré, très bombardé et il n’y a pas de cave. Les blessés sont au rez-de-chaussée sous un simple plafond de bois déjà éventré par les obus. Impossible d’évacuer les blessés avant le soir et nous aspirons après l’obscurité. Nous subissons un bombardement très serré. Plusieurs obus atteignent et renversent des pans de mur. Aucun ne perce ni les murs ni les plafonds de notre salle. Je recommande sans cesse ce pauvre abri et ceux qu’il contient à mon Bon Ange. Le caporal infirmier en sortant après avoir fait les pansements est tué à la porte contre notre mur. Je ne quitte plus mes blessés que ma présence rassure un peu et que je ne veux pas abandonner à leur détresse affreuse. Le pansement les a un peu soulagés mais ils aspirent après la nuit pour partir. Le soir vient, tous ceux qui peuvent marcher s’en vont à pied même M. Lacoste qui a une fracture du péroné. Arrivent équipes de musiciens avec des brancards. Je fais enlever l’adjudant Quentin et l’adjudant Choquet. Mais tandis qu’on prépare le 3 e  brancard Jean Lefebvre revient annoncer qu’à la 1 ère  équipe, 2 musiciens sont tués et un blessé. Toutes les équipes s’en vont ramasser les morts et les blessés. Puis… aucun ne revient plus. »

Achille LIENART, Aumônier au 201e régiment d'infanterie

La Guerre de 1914-1918 vue par un aumônier militaire, Archives diocésaines de Lille

Rémy MARCHAND, 22 ans

« Nous apprenons que les Boches reculent sous le terrible feu de notre artillerie. Le régiment passe la journée entre Jumigny et Blanc-Sablon. Les premières lignes étaient devant ce village. Au cours de la journée, la division fait plus de mille prisonniers, et prend du matériel de toute sorte. Le 33 e  colonial qui a attaqué devant nous a été décimé par les mitrailleuses ennemies et nos 75 qui tiraient sur eux, ce qui se produit souvent au cours d’une attaque : les artilleurs n’allongent pas assez leurs tirs, et l’on se trouve pris dedans. Les obus de 75 sont des plus meurtriers : ces canons étant à tir rapide, les ravages causés par lui sont très grandes dans les lignes boches. Mais il ne faudrait pas que cet engin destiné à tuer les Allemands soit employé à massacrer les Français. Au cours d’une attaque, chaque chef de section est muni de fusées spéciales de deux modèles : des rouges pour demander le barrage à l’artillerie, et des vertes pour faire allonger le tir. Cela devait suffire aux officiers d’artillerie pour régler leurs pièces en conséquence. »

Rémy MARCHAND, soldat de 1 ère classe au 57 e  régiment d'infanterie

Les mémoires d’un poilu d’Aunis, Paris, L’Harmattan, 2009, p.80-81

Marcel GUENOT,

« Il est 5 heures 54 minutes. Toute notre artillerie est en action. C’est effroyablement grandiose. Les Allemands ne ripostent que faiblement et sur nos arrières, visant apparemment la route 44 et le passage du canal, pour gêner l’arrivée de renforts ou de convois de ravitaillement divers. Le bruit de toute cette artillerie, c’est l’orchestre démoniaque qui joue l’introduction, l’ouverture de « La Marche à la mort ». Enfin, voilà, cette attente insupportable est terminée. Nous n’en pouvons plus. Il est 5 heures 59 minutes, c’est l’heure du saut du parapet.

- En avant ! clame un officier.

Mais une scène surprenante se produit alors. Avant même que les poilus, qui attendaient dans la parallèle de départ, n’aient le temps de faire le saut, que voit-on ? Le colonel Nieger, commandant le régiment, entouré de tout son état-major et sa liaison. Ce beau monde franchit la tranchée en sautant par-dessus et le colonel en personne s’adresse aux poilus :

- Les enfants, c’est l’heure, EN AVANT !

Tout le monde bondit comme un seul homme, galvanisé par cette présence. Le feu de barrage ennemi est aussitôt déclenché. Une mitrailleuse, puis deux, puis trois, puis toutes font entendre leurs tac-tac-tac rapides. Des coups de fusil partent de différents points, se joignant à leur staccato. Le moment est insupportable, indescriptible. Un obus tombe à proximité du groupe du colonel. Il est blessé avec plusieurs de ses collaborateurs, j’aperçois aussi des morts. Le barrage allemand est amplifié, cependant, notre ligne de tirailleurs gagne du terrain tout en s’éclaircissant. Gênés par le tir d’une mitrailleuse, certains se couchent, puis se relèvent et repartent en courant. Quelques-uns tombent et se relèvent pas, ils sont touchés, peut-être tués.

Sur notre front de cent cinquante à deux cents mètres de large, l’avance est irrégulière, le centre est plus rapide que notre gauche. Nous effectuons deux grands bonds, mais nous sommes arrêtés chaque fois par un tir de mousqueterie provenant de la tranchée allemande, droit devant nous. Allongés ventre au sol, les balles passent au-dessus de nos têtes, les obus, par rafales, tombent ici et là, non loin de nous, mais ils nous passent aussi par-dessus. Les éclats font cependant entendre tout près leur bruit rugissant, menaçant. »

Marcel GUENOT, sergent au 60 e  régiment d'infanterie

Marcel GUENOT, Le sang de la Libérté, Coudray-Macouard, Editions Cheminements, 2005, p.174-175

Louis MAUFRAIS, 27 ans

« Nous attendons toute la nuit sur le bord de la route, et je roule des cigarettes pour passer le temps. Au-dessus de nos têtes, le bombardement est incessant. Tout d’un coup, le vacarme est éclipsé par l’écho d’un véritable tremblement de terre. C’est une mine qui saute sous la cote 108. Immédiatement une autre, une allemande, lui répond. Enfin, dès qu’il fait jour, vers six heures, on entend des crépitements de mitrailleuses au loin : l’offensive commence. Peu à peu, on voit passer de petits blessés qui s’en vont sur la route, en direction du sud, puis des brouettes, des porte-brancards, des ambulances. Un Russe, un gars immense, il fait bien deux mètres, large comme un meuble. Un pansement sur la tête, il se tient sous la pluie, contre le portail de l’église de Cormicy, l’œil vague, débraillé, la braguette déboutonnée. J’essaie de lui faire comprendre que nous sommes à sa disposition, s’il a besoin de quelque chose. Il ne répond pas. Enfin, à dix heures, arrive l’ordre de retourner sur nos positions. Le Russe est toujours là, dans le même état comateux. »

Louis MAUFRAIS, Médecin au 94 e  régiment d'infanterie

Louis MAUFRAIS, J’étais médecin dans les tranchées, Paris, Robert Laffont, 2008, p.312-314

André ZELLER, 19 ans

«  Avant le lever du jour, le colonel quitta le PC « Rivoli » pour rejoindre le nouveau poste de première ligne, où il devait assister au débouché de l’attaque.

Nous n’étions derrière lui qu’un état-major réduit, trois officiers, les agents de liaison, quelques téléphonistes et signaleurs. Alourdis par l’équipement complet, musette, bidon, deux jours de vivres, couvertures en sautoir, revolver, porte-cartes, jumelles, nous nous heurtions dans la nuit aux parois du boyau. Fréquemment, les lueurs de l’artillerie en pleine action permettait de distinguer la caravane tressautante, dont les silhouettes se hâtaient vers l’avant.

Grand vacarme de tous les canons français tirant ensemble. Les arbres échevelés du bois de Beaumarais se découpaient sur un ciel rouge. Des trains d’obus enjambaient les parapets dans un bruit de gamelles et de baïonnettes. Le barrage roulant de notre artillerie martelait le sol à quelques centaines de mètres plus loin. L’air vibrait. Par instants, des geysers de pierrailles surgissaient au-dessus de la tranchée : la riposte allemande. Nous étions là, en pleine bataille, un peu sourds, insensibles, mais anxieux de la suite. Le colonel ouvrait la bouche, faisait des gestes en soulevant sa canne. On ne l’entendait pas.

Jour gris et sale se levant lentement. Figures blêmes et mal rasées, les hommes du groupe de commandement étaient adossés aux parois de la tranchée ou assis par terre, attendant… La ligne téléphonique nous reliant à l’arrière était déjà coupée par les obus. La T.P.S. (télégraphie par le sol) ne fonctionnait pas. Les projecteurs braqués sur le PC « Rivoli », cherchaient en vain un correspondant.

Au bout de trois quarts d’heure, un sergent couvert de boue jusqu’au casque, dégringola du parapet et remit au colonel un papier froissé : le commandant du bataillon de gauche faisait savoir que l’attaque progressait lentement et que ses premiers éléments approchaient de la tranchée de Lutzow, première défense allemande. Du bataillon de droite, rien.

Le troisième bataillon, celui du commandant Cuvilliers, qui marchait en réserve, débouchait à son tour sur le billard par petites files d’hommes, lieutenants et adjudants en tête. Plusieurs passèrent à proximité, les fusiliers-mitrailleurs arme sur l’épaule, les pourvoyeurs portant les chargeurs en forme de demi-lune. D’un coup de rein, ils se hissaient sur le rebord de la tranchée, s’épaulant les uns les autres. Le vacarme avait décru, notre barrage roulant semblant maintenant très loin. Si seulement notre infanterie avait pu suivre… Vue bouchée en direction de Corbeny. Brouillard tenace, renforcé de toutes les fumées du combat. […] Hissés sur le rebord de notre tranchée, nous n’apercevions que quelques taches bleu horizon à trois ou quatre cents mètres de nous, plaquées au sol. De temps à autre, se distinguait la course d’une silhouette pliée en deux et bondissant d’un trou dans l’autre. Puis il nous fallut nous-mêmes baisser la tête sous une grêle de balles.

Pas un signe de vie de mes artilleurs détachés dans les bataillons de tête. C’était là un fâcheux indice, si l’on se rappelait le désir qui les animait d’être dignes de leur mission.

C’est dans cette trouble conjoncture que, très proche, nous entendîmes un remue-ménage inattendu. Un groupe complet d’artillerie de campagne venait de déboucher des derniers arbres du bois de Beaumarais et se mettait en batterie à trois cents mètres derrière nous. Les canons ferraillaient sur le sol inégal, les chevaux hennissaient. Immédiatement, toutes les mitrailleuses ennemies se réveillèrent, les balles rasant notre tranchée en nappes denses. Il y eut des cris et des galopades. En quelques minutes, étaient mises hors de jeu trois batteries du 13 e d’artillerie, fidèles à l’ordre d’opérations et à son horaire. La moitié des servants gisaient au sol, et aussi quelques chevaux étripés. Ce n’est qu’à la nuit que seraient ramenés dans le bois les quelques canons intacts.

Peu après, nous aperçûmes à courte distance, en direction de la Ville-aux-Bois et de Juvincourt, d’immenses colonnes de fumée rougeoyante. Au moment même, nous pressentions une nouvelle catastrophe. Mais ces incendies ne prirent pour nous leur vrai sens que deux jours plus tard, aux récits et aux rapports sur l’attaque : il s’agissait des tanks du commandant  Bossut , pris à partie par canons et mitrailleuses ennemis qui les faisaient flamber comme des torches. »

André ZELLER, sous-lieutenant au 27e régiment d'artillerie de campagne

André ZELLER, Dialogues avec un lieutenant, Paris, Plon, 1971, p.114-117

Charles HANIN, 26 ans

« Je grimpe à l’observatoire. Cinq heures cinquante-cinq minutes ; H-5 de ce jour J  qu’est le 16 avril 1917.

Je braque mes jumelles sur la ligne de bataille ; le bombardement est faible, mais la fumée dans l’atmosphère  brumeuse est suffisante pour gêner l’observation. Je ne vois qu’un vaste amoncellement de terres ravagées, tuméfiées comme une croûte lunaire et puis plus loin les couleuvres sombres des réseaux de fer.

Six heures.

J’écarquille les yeux. Notre tir ne s’intensifie pas, les obus tombent çà et là par séries ; où donc se trouve ce tir de roulement qui doit précéder les vagues de l’infanterie !  J’essaie de voir la sortie des zouaves, dans la brume du jour naissant, cela est impossible, mais presque aussitôt des sifflements stridents comme des claquements de fouet flagellent l’air; les mitrailleuses allemandes crachent éperdument par saccades rageuses; l’artillerie n’a pu les museler; cette fois alors j’ai l’assurance de l’échec. « Ils sont sortis ! » me dit  Gautheron qui est près de moi. Mais je ne puis rien voir dans la fumée que le vent pousse au ras de la terre; notre tir, en retard, devient enfin plus compact. Le Mont Spin se transforme en un vaste volcan; sur ses flancs, les fumées des éclatements jaillissent en geysers sombres, les terres jaunâtres déferlent comme des laves en fusion; l’artillerie allemande déclenche un tir assez maigre qui vise le canal et les passerelles, mais les crachements des mitrailleuses atteignent la rage frénétique; les Allemands  tirent comme des possédés; la bataille est maintenant au paroxysme de la démence; c’est l’enfer.

Soudain dans le champ circulaire des jumelles, par les éclaircies dans la fumée raréfiée, je  vois distinctement des formes humaines qui se meuvent, qui rampent, qui courent; ce sont des nôtres….Sous les rafales, quelques-uns tombent de tout leur long, brisés, désemparés sur les organisations ennemies, impuissants devant les réseaux intacts, nos soldats regagnent les parallèles de départ;  j’en rends compte au colonel qui me dit : «Ce sont les blessés ! » Ma pensée est tout autre.

A deux ou trois reprises, le colonel m’envoie porter des ordres au commandant C…  qui commande le 11 ème  bataillon pendant l’absence du commandant Mondielli; il est en réserve. A genoux, vautrés dans la boue des boyaux, les hommes attendent à leur tour d’être engagés; mais le seront-ils ? Leurs camarades sont contenus; le commandant C… debout sur un parapet, sans souci du danger, scrute de ses lorgnettes les tranchées ennemies;  il me confirme que les vagues d’assaut en dépit de leur effort magnifique se sont inutilement acharnées et quelles ont été impitoyablement décimées par la mitraille allemande. Je  reviens au PC Gasco; très pâle, le colonel me dit :  « Ce sont les mauvais jours de la guerre ! ».  Hélas oui !, jour sinistre, superbe régiment  anéanti  dans la fournaise comme la meule de paille dévorée par l’incendie. Plus rien, plus d’officiers après cet échec, plus d’hommes, hélas ! Mais des pauvres épaves martyrisées. » 

Charles HANIN, sous-lieutenant au 3 ème  régiment de zouaves.

Souvenirs d’un officier de Zouaves 1915-1918. Charles Hanin, Edt Bernard Giovanangeli