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16 avril 1917, récits de combattants...
L'offensive Nivelle sur le Chemin de Dames fera des dizaines de milliers de morts, disparus, blessés...traumatisés par l'enfer de la guerre.
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Le 16 avril 1917, à 6h, l’offensive du général Nivelle est lancée sur le Chemin des Dames. Des centaines de milliers d’hommes sont rassemblés là, les uns sur les hauteurs, déterminés à tenir après avoir enduré dix jours de préparation d’artillerie, les autres, dans la vallée, qui s’apprêtent à monter à l’assaut dans ce qui doit être l’ultime effort vers la victoire. Dans un orage de feu et d’acier, des hommes vont s’affronter pour quelques centaines de mètres de terrain, laissant dans les mémoires le souvenir de l’un des pires carnages de la Première Guerre mondiale.
Du 16 au 30 avril 1917, les 5 e , 6 e et 10 e armées françaises totaliseront 13083 tués, 16 968 disparus et 52 332 blessés. Les pertes allemandes sont toujours quant à elles difficiles à quantifier. Ceux qui s'en sont sortis, nous ont laissés leur témoignage...
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Georges GRAS, 26 ans
Georges GRAS, 26 ans. Cliquer pour développer.
« 6h00. En quelques pas j’atteins la lisière, puis la chicane, comme à la manœuvre, aussi loin qu’on peut voir, nos hommes surgissent pour se ranger en formations de combat devant les barbelés. Et de partout, un geste. En avant ! Tandis que nos obus s’acharnent encore sur la ligne ennemie, nous progressons posément dans le vallon rempli d’une légère brume. Il faut contourner les trous, sauter les arbres abattus, les sections de droite s’embourbent dans la terre spongieuse et d’instinct se rabattent sur des terrains plus fermes. Tandis que les compagnies de gauche en terrain dégagé, abordent le saillant et commencent à l’escalader, nous grimpons à grand peine les derniers contreforts à l’est de l’éperon, et nous voici en vue de notre objectif : « La Strypa ». C’est alors le coup d’arrêt brutal, inexorable. Comme un coup de baguette, un tir d’armes légères, où les mitrailleuses mènent le bal, se déclenche en ouragan. La ligne d’assaillants, dont les éléments avancés, tiennent les abords de l’église, est littéralement piquée au sol par des tirs de face, des tirs d’enfilade. Venant de Chevreux et de « la Strypa », des tirs plongeants – les plus meurtriers – venant des arêtes de la falaise. La densité du feu est telle qu’il semble qu’un essaim tourbillonnant de balles nous cherchent dans tous les sens. De notre position en contrebas toute riposte est impossible. Rien à faire que de se terrer, de s’abriter au mieux pour laisser passer l’orage. »
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Xavier CHAÏLA, 30 ans
Xavier CHAÏLA, 30 ans. Cliquer pour développer.
«16 avril 1917. Pour nous, nous marchions avec la 2e division de cavalerie comme régiment à pied. […] l’infanterie devant attaquer à six heures. Le feu de l’artillerie atteint alors sa plus grande intensité. Le ciel était une fournaise. On n’entendait rien au milieu du fracas des pièces. […] On passa l’Aisne sans accident et tout marcha à peu près bien tant qu’on fut dans nos anciennes tranchées. Après, comme entre les deux lignes il n’existait pas de boyaux, on dut franchir la distance à découvert, mais les Boches, nous ayant aperçus, bombardèrent le passage avec des [obus de] 210. […] »
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Gabriel Barret, 24 ans
Gabriel Barret, 24 ans. Cliquer pour développer.
« Dispersés par petits groupes, isolés dans les entonnoirs, nous sommes directement aux prises avec les boches... peu nombreux, semblait-il, au début de l’attaque, ils sont sortis de leurs trous profonds, comme des frelons et ils nous harcèlent de tous les côtés, sous un véritable déluge de grenades... Au prix de dangers inouïs, deux hommes viennent d’aller en arrière chercher un peu d’eau... à leur retour, ils nous rendent compte qu’aucune relève n’est, pour le moment, envisagée... Nos effectifs sont réduits des deux tiers, nous faisons donc partie du tiers restant. Nous sommes épouvantablement sales et sans sommeil depuis un temps qui nous échappe. Le moindre petit coin de ce champ de bataille hallucinant ferait frissonner jusqu’à la moëlle, l’être humain le plus insouciant qui s’y trouverait transporté... avec un seul caporal, je commande la section ou plutôt ce qu’il en reste. Au cours des premières minutes de l’attaque, nous nous sommes trouvés nez-à-nez avec les Fritz qui nous ont fixés devant leur deuxième ligne installée sur la crête. Comment la 1ère vague, partie devant nous, a-t-elle pu fondre aussi vite, disparaître aussi complètement... leurs mitrailleuses aux aguets s’acharnent sur tout ce qui apparaît, sur tout ce qui bouge... rien d’autre à faire, qu’à subir ce tir inflexible, dominateur, car, nous savons qu’il n’y a aucun renfort derrière nous. Nous avons l’impression d’avoir été abandonné... on nous dit de « tenir » ... nous voilà à bout, complètement à bout... et dans quel état, au milieu des cadavres et des excréments, englués dans une boue infecte »
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Pierre ROBIN, 20 ans
Pierre ROBIN, 20 ans. Cliquer pour développer.
« Il est 6 heures, c’est l’heure H, dans toute le secteur la grande bataille est commencée et effectivement à ma droite vers Craonne, fusillade intense, les mitrailleuses parlent, le silence de tout à l’heure est disparu. C’est le 1er d’infanterie qui attaque Craonne. […] A 6 heures et demi j’arrive en position dans la cuvette de Craonnelle, ils doivent attaquer vers le saillant de Vauclerc, petite falaise presque à pic (je voyais cela par temps calme). Deux bataillons (les 5e et 6e) participent à l’attaque (environ 2000 hommes), les soldats n’ont pas fait 50 mètres qu’un feu de mitrailleuses les arrêtent sur place et au bout d’une heure ordre est donné d’arrêter. Il faut essayer d’évacuer les blessés, de rassembler les valides et d’attendre les unités qui viennent derrière le régiment d’assaut. Ces unités devaient être à leurs côtés vers 8h (H + 1h45), c’est la raison pour laquelle les Allemands font en ce moment leurs tirs de barrage.
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Paul CLERFEUILLE, 31 ans
Paul CLERFEUILLE, 31 ans. Cliquer pour développer.
« Nous avons des vivres pour six jours, nous n’avons emporté que le nécessaire. Linge, couvertures, nous en avons fait des petits colis qui sont restés à l’arrière, gardés par des soldats désignés et qui ont leur père ou frère tués aux armées. Les vivres que nous emportons constituent six jours, boites de bœuf, porc, sardines, chocolat, pain, biscuit, pâté, café, sucre, haricots et farine, pomme de terre en fécule etc. Également du pinard, le café, la goutte mêlée d’éther. Moi, je porte mes vivres, un bidon de goutte, un bidon de café que j’ai préféré au vin, quatre grenades citron, un pistolet automatique, trois chargeurs, une poignée de balles, un couteau poignard dans une gaine pendue à la gauche de mon équipement et, enfin, mon fusil Lebel et ses cartouches, les deux masques à gaz sans oublier mon casque.
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Alfred BEERMANN
Alfred BEERMANN. Cliquer pour développer.
« A l’aube, je venais juste de revenir de la tranchée quand le sous-officier de garde sonna l’alerte : « Les Français attaquent ! ». Comme je portais sur moi encore mon équipement je fus le premier à sortir.
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H. SIEBERSLEBEN
H. SIEBERSLEBEN. Cliquer pour développer.
« Enfin le 16 avril, un jour que je n’oublierai jamais, débuta l’offensive de l’infanterie adverse. Avec des cris d’urgence, les rares commandants appelaient leur poignée d’hommes. Les armes étaient couvertes de boue, les mains raides et douloureuses ; néanmoins, ici et là retentissait le bruit d’une mitrailleuse. Des grenades à main explosaient alors que nous rampions ou bondissions de trous d’obus en trous d’obus, perdant du terrain graduellement car nous ne pouvions pas endiguer la supériorité numérique des Français. C’était un chaos complet ! Mais l’ennemi hésitait ; ils n’avaient pas envisagé de rencontrer une telle résistance puis, comme si elles arrivaient du paradis, des réserves furent employées pour renforcer notre défense plus ou moins le long de notre position où notre troisième ligne de défense courait trois jours auparavant (Seitz-Linie). L’ennemi attaqua à plusieurs reprises, mais fut repoussé à chaque fois. Dès que l’obscurité vint, nous nous sommes repliés près d’Ostel puis dans la ligne de défense Malmaison. »
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Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, 21 ans
Joseph TÉZENAS DU MONTCEL, 21 ans. Cliquer pour développer.
« Un court crépitement de mitrailleuses m’inquiète soudain. Devant nous, des hommes courent. Dispersés, et il y a dans le bruit et la fumée quelque chose d’anormal. J’ai l’impression que nous sommes près de l’ennemi, et, à nouveau je porte mon sifflet à mes lèvres. Une série de petits coups de sifflet rapides et ma section se déploie en tirailleurs sans cesser de marcher. Je suis ainsi plus tranquille : s’il y a une surprise nous serons en formation de combat... Sous la menace que nous sentons peser, notre marche s’accélère. Nous abordons la première tranchée boche. Tout y est bouleversé à un point incroyable et le réseau n’est plus qu’un souvenir... Nous nous arrêtons une seconde, le temps de souffler et de reprendre un peu d’alignement... Nous repartons. Palmier me crie à ce moment : - Balancez votre canne ! Hé oui ! Je sais bien ! il a raison ... Je la plante d’un coup sur le parados de la tranchée pour en marquer la prise de possession définitive. Comme nous avançons toujours, les premiers cadavres nous apparaissent, dispersés çà et là, de nos camarades qui, il y a quelques minutes, sont partis devant nous, et tout à coup ..Tac tac tac tac tac tac…Une terrible rafale nous cloue sur place…
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Georges Gaudy, 22 ans
Georges Gaudy, 22 ans. Cliquer pour développer.
« Minuit ! La compagnie s’ébranle. […] Je remarque des passerelles sur le cours d’eau. Chaque bataillon à les siennes pour le franchir. Les crêtes du Chemin des Dames émergent du brouillard. Les troupes de rupture doivent se préparer là haut. Je songe aux Sénégalais qui s’installent en ce moment dans les places d’armes et les parallèles de départ, avec leurs faces silencieuses. L’artillerie donne éperdument. Des batteries nouvelles se sont démasquées. Mais nul d’entre nous ne voit rien. Chacun devine, ayant déjà vu. Ce bruit nous excite, nous ne sentons plus la fatigue, et l’on s’impatiente en attendant l’heure. […] en me retournant, j’aperçois les collines au sud de l’Aisne, noires de troupes. L’infanterie s’avance en petites colonnes, le long des buissons ; la cavalerie, que nous n’avions pas vue depuis tant de mois, se rassemble là-bas par escadrons ; sur une route, de gros camions paraissent ; ils s’arrêtent, prêts à suivre la progression. Partout, les casques bleus étincellent. Et de sentir derrière nous tout ce monde massé, devant nous ces soldats éprouvés, notre enthousiasme grandit, se décuple. […] Les voies humaines se taisent. On écoute, on attend. Et déjà l’évènement effroyable et grandiose est commencé. De tous les trous où ils se blottissaient, les hardis lutteurs de la première minute se sont élancés ; ils sont en marche, ils sont partis. Partout, les points d’or pâles des fusées montent dans le ciel mouillé, et voici que s’élève, impérieux, le tac tac des mitrailleuses.
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Officier allemand (anonyme)
Officier allemand (anonyme). Cliquer pour développer.
« Au matin de l’offensive, il manquait tout soutien de la part de notre artillerie. Nos avions de chasse n’ont pas réussi à nous garder à distance des avions ennemis, contrairement à Verdun et à la Somme, il n’y a eu que peu d’attaques et elles étaient peu vigoureuses de la part de nos avions de chasse, la plupart du temps ils se sont limités à ne donner que quelques tirs à des distances beaucoup trop longues, avant de faire demi-tour en évitant la bataille. Nos canons anti-aériens ont complètement échoués. Quelques avions ennemis ont tournés au-dessus de nos positions, sans recevoir de tirs de nos canons anti-aériens placés trop en arrière du front. Nos mitrailleuses anti-aériennes ont en revanche tirés 4000 coups par jour, mais elles recevaient en échange des tirs d’artillerie français.
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Jean Henri JAYMES, 40 ans
Jean Henri JAYMES, 40 ans. Cliquer pour développer.
« Quittons le bivouac [bois sud de Roucy] à 5 h19, traversons Roucy, Pontavert et toutes les lignes de grosse artillerie, c’est un vacarme étourdissant ; huit heures, c’est en pleine bataille. A la sortie de Pontavert, nous trouvons l’artillerie, batterie de 75, qui avance, le bois des Buttes est à nous ; à certains endroits la route 44 est dégagée ; c’est cette route que nous devons réparer. A 9 heures nous touchons les outils à la ferme nord-est de Pontavert ; là nous attendons les ordres. De 9h à 13h, il passe 5 convois de prisonniers, environ 600 à 15 heures et 16 heures, deux autres convois, en tout 900 à 1000. A 16h30, nous recevons l’ordre de camper, la route où nous devons aller travailler n’est pas encore dégagée, c’est du côté de Berry au Bac qu’il y a beaucoup de résistance. L’attaque n’a pas marché comme c’était prévu, l’ennemi avait beaucoup de troupes et devait attaquer 24 heures plus tard ; nous avons devancé ses projets ».
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Cyprien ETCHEGOYEN, 20 ans
Cyprien ETCHEGOYEN, 20 ans. Cliquer pour développer.
« Là-haut, les troupes d’attaque grimpent sous le déferlement des tirs de barrage ennemis. Ils s’en vont, les braves, à la conquête du ciel, tant c’est haut cette tranchée du plateau qui commande à la vaste plaine. On les croirait voir s’agripper à des remparts de citadelle. Et ceux qui roulent, ah ! Ceux-là, sont nombreux ! On n’avance pas. Et nous avons la mort dans l’âme. Cependant nous poussons, nous poussons toujours dans l’espoir que la ligne d’attaque s’ébranlera sous notre effort même. Mais, là-bas, la résistance est brutale. La surprise n’existe plus. Les tanks, qui ont couvert la marche de l’infanterie sur le tapis de Corbeny, sont immobilisés dans l’encadrement sans cesse renouvelé des explosions meurtrières. Une illusion est morte certainement pour ces admirables poilus livrés aux feux des mitrailleuses sans qu’ils puissent espérer des mastodontes d’acier l’écrasement des Allemands invisibles. Sur la crête de Vauclère la ligne française se réduit à chaque bond et les hommes chavirent en jetant en l’air leur fusil-baïonnette comme dans une fantasia où la mort commande au bourreau ».
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Ambroise HAREL, 22 ans
Ambroise HAREL, 22 ans. Cliquer pour développer.
« Nous passâmes sur une petite colline boisée de taillis de chênes que les obus commençaient à éclaircir. Sur cette colline, se trouvait le poste de commandement de notre colonel. Il y avait de fameuses sapes ! A partir de cet endroit notre trajet devenait plus dangereux ; tout le terrain à traverser était nu et visible des positions boches, aussi nous descendîmes le versant de cette colline, en colonne par un ; qu’est-ce qui tombait par-là, comme obus de 150 !
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Soldat (anonyme)
Soldat (anonyme). Cliquer pour développer.
« Ce matin à 3 heures , nous avons pris position d’attaque devant notre réseau de fils de fer, et là, couchés sur le ventre, en tirailleurs, nous attendions l’heure « H ». Tout était calme, pas un coup de fusil, à peine un coup de canon de temps en temps. Tout à coup, notre « 75 » s’est mis à tirer si près de nous qu’il nous a fait peur. Nous avons de suite envoyé des fusées pour faire allonger le tir, nous en avons envoyé plus de quarante ; un de nos »155 » est tombé en plein sur une section de la 13e compagnie, elle a presque été entièrement mise hors de combat. Le lieutenant Coton qui la commandait a été blessé. C’était la panique sur notre ligne ; tout cela a donné l’éveil aux boches, nous les avons vu sortir de leurs gourbis avec leurs armes et prendre leurs emplacements de combat, nous les entendions se transmettre leurs commandements et, de suite ils ont commencé à nous saler ! Pour ne pas nous faire massacrer dans le marais où nous étions, nous avons attaqué. Ça a à peu près bien marché sur la pente, mais quand nous avons été ici, à la crête, il a fallu tuer les mitrailleurs à leurs pièces, ils se sont défendus jusqu’à la mort, ces cochons-là, et il y en a de nous qui ont été tués à bout portant, puis les balles pleuvaient tellement qu’il a fallu rester là, mais sans nos obus sur nos rangs, nous les aurions surpris dans leurs trous ».
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Abbé DURQUET, 28 ans
Abbé DURQUET, 28 ans. Cliquer pour développer.
« Le 16, nous sommes en dès 5h30 ; à 9 h 15, nous traversons Maisy et l’Aisne pour nous établir en formation d’alerte dans la vallée de Vassogne, au nord de Beaurieux ; nous devons assister, au moins par l’ouïe, au combat qui se livre devant nous à Hurtebise ou environs. Les heures sont longues mais pas un obus ne tombe dans la vallée qui, pourtant, fourmille de troupes. A 21h 30, nous recevons l’ordre de revenir en arrière, de retraverser l’Aisne et d’aller cantonner à Glennes. Quelle déception ! Pour comble, une pluie dense se met à tomber ; les artilleurs battent eux aussi en retraite, obstruent la route ! La déception et les difficultés de la marche nous exaspèrent. »
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Louis MAIRET, 23 ans
Louis MAIRET, 23 ans. Cliquer pour développer.
« 15 avril Père et Mère Chéris, Mon vingt-troisième anniversaire sera, je pense, un grand jour. Les lettres que vous m’écrivez et que j’ai reçues jusqu’ici me prouvent que l’arrière ne se fait aucune idée de l’ouragan qui, depuis huit jours, secoue ici la terre et les cieux. Tant mieux ; l’effet moral n’en sera que plus sûr et plus réconfortant. Je crois vous avoir dit que le colis de lettres annoncé n’avait pu partir ; mais j’ai donné des instructions pour qu’il vous parvienne, un jour ou l’autre, avec tout son contenu. Tout est en ordre. Je suis donc tranquille. Je n’ai d’ailleurs aucun pressentiment fâcheux ; non, vraiment, je vous assure. Et j’espère bien, une fois lavé de cette fumée, aller vous voir, en bonne santé et joyeux. A bientôt donc. Je vous embrasse de tout cœur en vous disant un grand « Au Revoir ! », car j’espère bien que la prochaine fois que je vous écrirai, ce sera en pays reconquis. Tendres baisers de votre fils aimant. Louis »
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Raoul DESCAT, 22 ans
Raoul DESCAT, 22 ans. Cliquer pour développer.
« Jeudi, le 19 avril 1917. Je profite d’un petit moment de tranquillité pour te donner de mes nouvelles. Comme je te l’annonçais sur ma dernière carte, je suis monté à l’attaque dans la matinée du 16. Nous avons avancé jusqu’à la troisième ligne de tranchée ennemie que nous avons prise en dépit d’une résistance très opiniâtre. L’ennemi avait reçu l’ordre de tenir jusqu’à la dernière extrémité, ce qui explique le faible nombre de prisonniers. Je ne te raconterai rien, bien chère maman, sur les deux terribles journées que j’ai passées en ligne au cours desquelles j’ai souffert comme je ne l’avais jamais encore fait dans ma vie. Quand nous avons été relevés, hier matin, notre colonel pleurait en nous regardant passer ; il nous a accueillis en nous disant « bonjour mes chers petits » et a embrassé devant nous le capitaine « pour tous les braves qui revenaient avec lui ». Je suis depuis hier soir au repos dans un petit village à côté de Fismes, Baslieux (Aisne). J’ai passé toute la journée à nettoyer mes habits qui n’étaient plus qu’un véritable tas de boue. Au cours de l’attaque, j’ai rencontré Camille Labadie qui venait d’être blessé à l’épaule droite par un canon de fusil projeté sur lui par l’éclatement d’un obus, sa blessure est d’ailleurs sans gravité. Philibert a été également blessé à la jambe et au bras par des éclats d’obus. Je te quitte pour ce soir, bien chère maman, car je suis encore bien fatigué. Je crois que nous repartons d’ici demain. Les permissions sont toujours interrompues et je ne puis prévoir quand elles pourront reprendre leur cours car nous allons sans doute retourner sous peu à l’attaque dans un autre secteur. »
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Alphonse JUIN, 28 ans
Alphonse JUIN, 28 ans. Cliquer pour développer.
« Dans la nuit du 15 au 16 avril, le lieutenant-colonel Cimetière, qui a pris le commandement du régiment en remplacement du lieutenant-colonel Maurice, glorieusement tombé pendant la préparation de l'attaque, dispose ses trois bataillons dans les tranchées de départ situées au nord de Vendresse, – deux dont le mien, le 5e, en premier échelon, et le 3e derrière, en soutien. Au petit jour, dans un élan magnifique, les djellabas franchissent les parapets et dévalent les pentes du ravin de Chivy. En flèche dès le début de l'action, fauchés de flanc par les mitrailleuses de Chivy et de la sucrerie de Cerny, qui tiennent désespérément, les Marocains collent au barrage, s'enfoncent dans le bois du Paradis dont ils neutralisent les défenseurs et mordent sur le Chemin des Dames. À midi, le 5e bataillon, bien qu'ayant perdu son chef, tombé au départ de l'attaque, avait poussé hardiment jusqu'au rebord nord du plateau au-dessus de Courtecon. Dans cette journée, infructueuse dans l'ensemble, le régiment avait marché selon l'horaire fixé, en dépit des mitrailleuses et des obstacles accumulés sur son chemin. Ses jeunes bataillons pouvaient, à juste titre, être fiers de leur premier combat. Le soir du 16 avril, le 5e en particulier, jalonnait la pointe la plus avancée de l'Armée Mangin, et encore ne s'était-il arrêté, comme l'indiquait la magnifique citation à l'ordre de l'Armée obtenue ce jour-là par le régiment, que par ordre pour permettre l'arrivée à sa hauteur de troupes voisines qu'il avait dépassées dans son élan. Dans les jours qui suivirent, le régiment marocain inaccessible au découragement produit par la déception du 16 avril, ne cessa de donner la mesure de sa solidité et de ses hautes vertus morales. C'est ainsi que discipliné et toujours confiant dans l'heureuse issue de la guerre, on le vit accepter, sans se plaindre, bien des missions pénibles que d'autres avaient refusé de remplir. »
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Joseph FONSAGRIVE, 36 ans
Joseph FONSAGRIVE, 36 ans. Cliquer pour développer.
« L’heure de l’attaque est venue. Toute l’artillerie donne. A cet instant j’ai confiance. Puissent les Boches être pris de panique et lâcher pied. Dans le PC la conversation languit ; le capitaine V. Devant commandant intérimaire du groupe, le commandant B. ayant été évacué quelques jours auparavant, a un visage soucieux. Le sous-lieutenant L. assis près du téléphone fume en regardant un plan. Je ne puis tenir en place et je sors, décidé à tâcher de voir quelque chose. Franchissant la route, je monte dans les champs qui dominent le village. De là je commence à apercevoir les positions ennemies. La visibilité est excellente. Je continue à monter. Maintenant je vois toutes les positions du versant qui nous fait face, je vois même le plateau qui s’incline doucement vers la Suippe. Parfois un rideau de fumée me cache tel ou tel point, mais je distingue toujours l’ensemble. Où sont nos troupes ? Sur la Cote 108, par une fumée d’obus ; on dirait une immense dune ; sur la droite au-delà du mont Sapigneul, tombent des coups qui semblent faire barrage. C’est donc que nos fantassins se trouveraient là. En ce cas la Cote 108 et le mont Sapigneul seraient à nous. A la bonne heure ! Mais je ne comprends rien à ce qui se passe sur le mont Spin. Où sont les coups français, où sont les coups boches ? Il me semble toutefois que la densité des coups est très grande au sommet du mont Spin. Ce serait là, en conséquence, que nos fantassins se trouveraient arrêtés. Ah ! Voici que je distingue les flammes d’une batterie boche placée à la droite du mont Spin et qui prend d’enfilade la tranchée qui court à une faible distance de la crête. Elle tire sans discontinuer, les éclairs partent régulièrement et personne ne la voit, ou du moins personne ne tire dessus : c’est énervant. Il y a pis encore : le tir de notre artillerie se ralentit d’une façon inquiétante. Continuant à errer, je tombe sur le lieutenant W. qui surveille le tir de ses canons. Il a l’air très calme, mais avec un sourire navré, il me dit : je n’ai plus de munitions ; il ne me reste que quelques coups. Hélas ! Voilà pourquoi le tir s’est ralenti car les autres batteries doivent se trouver dans la même situation. Je redescends au village. Dans la rue principale des blessés légers passent. J’essaie d’avoir quelques renseignements. - Nous avons sauté dans la tranchée avant que le tir de barrage soit déclenché ; nous avons surpris les Boches : ils se sont rendus ; puis en sortant de cette tranchée j’ai été blessé. C’est tout ce que sait ce fantassin qui est certainement heureux d’en être quitte à si bon compte, car c’est au bras qu’il est blessé. »
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Achille LIENART, 33 ans
Achille LIENART, 33 ans. Cliquer pour développer.
« On se masse dans le boyau. Premiers obus sur la ligne. A 6h juste, les compagnies franchissent le parapet et dévalent dans le ravin. Je suis la vague avec les médecins et les infirmiers. Le tir de barrage n’est pas fort mais nous avons 600 m à faire pour aborder le plateau de Craonne. Au fond du ravin nous passons le ruisseau à gauche d’une ferme sans nom sur la carte. Là les deux médecins se séparent. M. Lebecq part à droite, M. Férot à gauche, je le suis. Un seul musicien nous accompagne. Nous faisons encore 200 m et nous heurtons un tir de mitrailleuses qui balaie en croisant leurs feux le fond du ravin. Toutes les compagnies sont bloquées, les hommes alignés, collés à plat, ventre sur le sol. Les balles crépitent autour de nous et nous nous aplatissons à terre. M. Férot touché par une balle à la cuisse se relève et se jette en arrière, à l’abri d’un petit talus. Un éclat d’obus qui retombe m’écrase un peu l’orteil mais sans pénétrer. Je vais me coller à côté de M. Férot contre le talus. Les balles le rasent de près mais il nous protège, les obus tombant un peu au-delà de nous sans nous atteindre. Nous pensons que quand les régiments voisins auront avancé assez pour enlever les saillants entre lesquels nous nous sommes engagés, les mitrailleuses se tairont et nous recommencerons à avancer. L’heure passe et la situation ne change pas. Nous voyons plusieurs hommes qui se déplacent abattus par les balles boches. M. Férot va panser en rampant des blessés réfugiés dans des trous d’obus. L’un d’eux est le lieutenant Duvière. Impossible d’aller le chercher et il ne peut pas marcher. Il faut attendre l’avance ou la nuit. Nous pansons à plat ventre derrière le petit talus l’adjudant Choquet blessé à la figure et le caporal Combes qui a le bras cassé. Puis nous mangeons, couchés sur le dos un biscuit avec de la viande de conserve. La situation ne change pas. Que faire ? Envoyons le musicien demander les ordres du médecin chef. Mais il rencontre à 200 m nos infirmiers réunis autour du major, M. Lebecq, grièvement blessé. Il revient nous chercher. Nous descendons. Je donne à M. Lebecq l’absolution car il me paraît très sérieusement touché. Puis vois passer le 4e bataillon qui va attaquer le tourillon de Vauclerc qui nous mitraille. Fais un pansement. Puis causer à quelques hommes et officiers. Vois le capitaine Battet mais sans pouvoir lui parler. Le capitaine Battet qui commandait notre 4e bataillon, d’abord engagé en seconde ligne à notre extrême droite a vu les 5e et 6e bataillons arrêtés de front dans le ravin par la résistance de la tranchée du Balcon qui domine tout et par les feux croisés du saillant de Jutland à droite et du tourillon de Vauclerc à gauche. Mais il a aperçu sous le tourillon un petit boyau montant au Balcon, qui ne paraît pas occupé par l’ennemi. Il a conçu l’idée d’attaquer par ce boyau la tranchée du Balcon. Il emmène en colonne par un, son bataillon derrière lui par le fond du ravin, se glisse sous bois, atteint le boyau. Là il s’arrête un instant pour réunir autour de lui ses grenadiers. Puis il les lance à l’assaut de la tranchée du Balcon en la prenant à son extrémité. En quelques minutes la tranchée est nettoyée, l’ennemi chassé et sur les pas des grenadiers, les compagnies qui ont bien servi s’installent sur la position où les restes des 5e et 6e bataillons viennent les rejoindre. Deux compagnies du 6e bataillon passent plus loin enlèvent d’assaut la 2e tranchée : celle des Sapinières au sommet de l’étroit plateau. Par ce coup de main hardi, le 201e est maintenant le régiment le plus avancé de toute la 1ère division, car le 43 à notre gauche n’a pu enlever sur le plateau de Vauclerc que la 1ère tranchée et le 1er d’infanterie à notre droite est arrêté devant Craonne. Nous sommes découverts sur nos deux flancs.
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Rémy MARCHAND, 22 ans
Rémy MARCHAND, 22 ans. Cliquer pour développer.
« Nous apprenons que les Boches reculent sous le terrible feu de notre artillerie. Le régiment passe la journée entre Jumigny et Blanc-Sablon. Les premières lignes étaient devant ce village. Au cours de la journée, la division fait plus de mille prisonniers, et prend du matériel de toute sorte. Le 33e colonial qui a attaqué devant nous a été décimé par les mitrailleuses ennemies et nos 75 qui tiraient sur eux, ce qui se produit souvent au cours d’une attaque : les artilleurs n’allongent pas assez leurs tirs, et l’on se trouve pris dedans. Les obus de 75 sont des plus meurtriers : ces canons étant à tir rapide, les ravages causés par lui sont très grandes dans les lignes boches. Mais il ne faudrait pas que cet engin destiné à tuer les Allemands soit employé à massacrer les Français. Au cours d’une attaque, chaque chef de section est muni de fusées spéciales de deux modèles : des rouges pour demander le barrage à l’artillerie, et des vertes pour faire allonger le tir. Cela devait suffire aux officiers d’artillerie pour régler leurs pièces en conséquence. »
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Marcel GUENOT,
Marcel GUENOT, . Cliquer pour développer.
« Il est 5 heures 54 minutes. Toute notre artillerie est en action. C’est effroyablement grandiose. Les Allemands ne ripostent que faiblement et sur nos arrières, visant apparemment la route 44 et le passage du canal, pour gêner l’arrivée de renforts ou de convois de ravitaillement divers. Le bruit de toute cette artillerie, c’est l’orchestre démoniaque qui joue l’introduction, l’ouverture de « La Marche à la mort ». Enfin, voilà, cette attente insupportable est terminée. Nous n’en pouvons plus. Il est 5 heures 59 minutes, c’est l’heure du saut du parapet.
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Louis MAUFRAIS, 27 ans
Louis MAUFRAIS, 27 ans. Cliquer pour développer.
« Nous attendons toute la nuit sur le bord de la route, et je roule des cigarettes pour passer le temps. Au-dessus de nos têtes, le bombardement est incessant. Tout d’un coup, le vacarme est éclipsé par l’écho d’un véritable tremblement de terre. C’est une mine qui saute sous la cote 108. Immédiatement une autre, une allemande, lui répond. Enfin, dès qu’il fait jour, vers six heures, on entend des crépitements de mitrailleuses au loin : l’offensive commence. Peu à peu, on voit passer de petits blessés qui s’en vont sur la route, en direction du sud, puis des brouettes, des porte-brancards, des ambulances. Un Russe, un gars immense, il fait bien deux mètres, large comme un meuble. Un pansement sur la tête, il se tient sous la pluie, contre le portail de l’église de Cormicy, l’œil vague, débraillé, la braguette déboutonnée. J’essaie de lui faire comprendre que nous sommes à sa disposition, s’il a besoin de quelque chose. Il ne répond pas. Enfin, à dix heures, arrive l’ordre de retourner sur nos positions. Le Russe est toujours là, dans le même état comateux. »
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André ZELLER, 19 ans
André ZELLER, 19 ans. Cliquer pour développer.
« Avant le lever du jour, le colonel quitta le PC « Rivoli » pour rejoindre le nouveau poste de première ligne, où il devait assister au débouché de l’attaque.
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Charles HANIN, 26 ans
Charles HANIN, 26 ans. Cliquer pour développer.
« Je grimpe à l’observatoire. Cinq heures cinquante-cinq minutes ; H-5 de ce jour J qu’est le 16 avril 1917.