Le Pont Saint-Hubert à l'heure des diagnostics
2021-2024 : le temps des investigations
À la tombée de la nuit, il pourrait facilement faire passer Plouër-sur-Rance pour San Francisco, tant il prend des airs du Golden Gate. Ouvrage d'art remarquable, unique pont suspendu d'Ille-et-Vilaine, le Pont Saint-Hubert incarne le charme de l'ancien. Édifié en 1910, détruit pendant la seconde guerre mondiale, puis reconstruit, le pont Saint-Hubert a connu une histoire mouvementée.
Aujourd'hui, le Pont Saint-Hubert nécessite d'importants travaux de rénovation, dont le Département d'Ille-et-Vilaine a la charge. Avant d'engager ces travaux colossaux, l'ouvrage doit passer une batterie de tests, de diagnostics, d'examens, réalisés de 2021 à 2024.
Des investigations techniques minutieuses et détaillées
Si le pont relie deux Départements bretons limitrophes, l'entretien et la gestion de l'ouvrage d'art dépendent des services du Département d'Ille-et-Vilaine. Lors d'une inspection visuelle détaillée au printemps 2020, les équipes constatent des dégradations sur la structure. C'est un véritable travail d'enquête qui débute, guidé par une série d'investigations à mener et de diagnostics à réaliser. Structure métallique, fondations, tablier du pont, câbles en acier, tous les éléments de l'ouvrage vont être minutieusement passées en revue. Durant plus d'un an et demi, des analyses approfondies vont permettre d'identifier les fragilités du pont et d'y remédier. Viendra ensuite le moment de la mise en œuvre d'importants travaux de rénovation en 2023 et 2024 pour un montant prévisionnel approchant des 10 millions d'euros. Le double objectif : la sécurité des usagers et la conservation d'un patrimoine historique.
L'étude sur les fondations du pont a été lancée. Les équipes réalisent des carottages sur les blocs de maçonnerie. De la matière est prélevée et analysée pour évaluer l'état des fondations.
Surveillance acoustique : écouter battre le cœur du pont
En octobre 2021, 8 capteurs sont placés sur les câbles du pont à différents endroits stratégiques, notamment en haut des piliers. Pour rappel, les 8 câbles tenant littéralement l'ouvrage sont chacun composés de 200 fils d'acier. Il est impératif d'étudier précisément l'état de ces fils.
À la manière d'un électrocardiogramme, les capteurs captent et enregistrent en permanence les ondes sonores et sont ainsi capables de détecter un évènement "anormal". Les capteurs sont reliés à une armoire de commande - aussi appelée centrale d'acquisition - , qui constitue le "cerveau" de l'opération. Celle-ci envoie directement par wifi en 4G les données aux bureaux bordelais du CEREMA, anciens laboratoires techniques de l’État.
"Cette surveillance acoustique a pour but d'étudier ce qu'il se passe à l'intérieur et d'identifier d'éventuelles fragilités. Les spécialistes du CEREMA ont une connaissance pointue de la manière dont réagissent ce type d'ouvrages. S'ils relèvent une anomalie, comme un dépassement d'un seuil d'alerte, ils viennent sur place dans les 24 heures", explique Bertrand Thepaut, chargé d'études au service génie civil.
Le dispositif de surveillance acoustique est en place pour 2 ans, le but étant de recueillir un maximum d'informations.
Les données enregistrées par les capteurs sont envoyées dans cette centrale d'acquisition, elle-même en lien permanent avec les techniciens du CEREMA de Bordeaux; Les techniciens du CEREMA en train d'installer les capteurs sur les câbles du pont.
Lors du contrôle des suspentes du pont en mai 2021 électro-aimant, le CEREMA avaient relevé des signes d'usure homogènes et logiques au vue de la date de construction de l'ouvrage.
Le pont Saint-Hubert mesure 287 mètres au total, et se compose de 2 ouvrages en béton avec 2 travées de 27 mètres et d'un viaduc suspendu de 171 mètres.
Remplacement d'un étrier des années 50
Entre novembre et décembre 2021, les équipes de l'entreprise Freyssinet ont procédé au remplacement d'un des étriers jugé dégradé lors des phases d'analyse. Cette opération délicate s'est avérée plus complexe que prévu, en raison de l'ancienneté de la construction.
"Il y a une tension énorme sur l’étrier car il est le point d’accroche entre la suspente verticale et la charpente métallique dont il porte tout le poids. Les équipes ont donc installé une sangle de chaque côté pour relâcher la pression et pouvoir remplacer l'étrier. Cela s'est révélé plus compliqué que prévu, l'étrier en place depuis les années 50 fut très difficile à desserrer.", explique Bertrand Thépaut.
Le nouvel étrier restera en place jusqu'aux travaux de réhabilitation à venir, l'ancien étrier démonté va être analysé.
L'ancien étrier serré dans les années 50 au moment de l'édification de l'ouvrage; Le nouvel étrier mis en place; Cette opération délicate a nécessité de fermer le pont à la circulation.
Contrôle des culots d'ancrage : Le pont saint-hubert, objet de science
Parallèlement à la surveillance acoustique - en place pour une durée de 2 ans - l'Institut Gustave Eiffel près de Nantes mène une prestation à titre expérimental "pour nourrir la science" dans ce domaine, comme l'explique Bertrand Thépaut, chargé d'études au service génie civil.
L'université Gustave Eiffel, basée à Bouguenais en Loire-Atlantique, est une université française expérimentale spécialisée dans l'étude des villes et des processus d'urbanisation.
"L'Institut cherche à développer des techniques novatrices. Grâce à des capteurs, ils font bouger les câbles et enregistrent les oscillations. Quand on remplacera les câbles, on leur fera passer une sorte d'autopsie pour vérifier la véracité de leurs observations. L'objectif avec cette prestation est surtout de faire avancer la science dans ce domaine", explique-t-il.
Les bétons passés au crible
En février 2022, les équipes techniques de l'entreprise LERM ont réalisé un diagnostic complet des bétons du pont au niveau des pylônes, des piles et du tablier de la travée suspendue.
Pour analyser les bétons, des carottages ont été effectués à différents endroits du pont. "Les mesures et prélèvements sont faits sur place, puis analysés en laboratoire. Nous aurons les résultats avant l'été, cela permettra d'avoir une bonne idée de l'état de santé de l'ouvrage", précise Bertrand Thépaut.
L'objectif de ce diagnostic : connaître la qualité de l'ensemble des types de bétons utilisés et leur état actuel, pour évaluer l'ampleur des réparations à effectuer.En effet, en milieu marin, le béton peut s'abîmer plus vite, la corrosion des aciers peut entraîner un phénomène d'éclatement du béton.
Soumis aux assauts de l'air marin, les bétons utilisés sur l'ouvrage peuvent se dégrader plus rapidement; Un carottage consiste à prélever un échantillon cylindrique de matière;
Auscultation GAMMAGRAPHIQUE : quand le pont passe des radios
En plus de l'électrocardiogramme (surveillance acoustique), le pont Saint-Hubert a passé des radios. À l'image d'un radiologue qui va réaliser les clichés d'une fracture, une équipe spécialisée a mené une campagne gammagraphique pour obtenir une vision claire de l'état des câbles en acier, tendus à l'intérieur des poutres en béton, c'est-à-dire de l'ossature de l'ouvrage.
Cette mission de diagnostic des poutres précontraintes a été réalisée du 4 au 7 avril 2022, par l'entreprise LERM, se décrivant comme "spécialiste des matériaux et de leurs pathologies". Comment ? Grâce à une technique ayant recours à une source radioactive, associée à une cassette de radiologie. Cette plaque est placée sur le fragment du pont à "radiographier", exactement sur le même principe qu'une radio humaine.
Périmètre de sécurité, rubalise dédiée, balise sonore placée au sol... En raison du recours à une source radioactive, un important dispositif de sécurité a été mis en place pour permettre les manipulations des professionnels équipés de protection. Le pont a été fermé à l’ensemble des usagers, piétons et cyclistes compris, ainsi que l’accès aux abords et sous l’ouvrage par les chemins pédestres. Les habituels pêcheurs côté Plouër-sur-Rance n'ont pu accéder au massif de fondation où ils s’installent habituellement.
Périmètre de sécurité, rubalise dédiée, balise sonore placée au sol... En raison du recours à une source radioactive, un important dispositif de sécurité a été mis en place pour permettre les manipulations des professionnels équipés de protection. Le pont a été fermé à l’ensemble des usagers, piétons et cyclistes compris, ainsi que l’accès aux abords et sous l’ouvrage par les chemins pédestres. Les habituels pêcheurs côté Plouër-sur-Rance n'ont pu accéder au massif de fondation où ils s’installent habituellement.
"À l’intérieur des poutres, les câbles décrivent une courbe. Si de l’eau pénètre aux extrémités de la poutre, en partie supérieure, elle peut se retrouver piégée au milieu de celle-ci, où le câble se trouve en partie basse. Il y a alors stagnation et risque important de corrosion. Le câble ne remplit plus son rôle", explique Bertrand Thépaut.
Une source radioactive est associée à une "cassette" de radiologie pour obtenir des clichés de l'intérieur du pont; Un périmètre de sécurité avait été dressé sur l'ensemble du secteur; Exemple de cliché gammagraphique (DR).
Essais à l'arbalète : la résistance des câbles mise à l'épreuve
Les résultats des essais sont directement enregistrés et retranscrits par des courbes.
Après avoir identifié grâce à la campagne gammagraphique les zones de fragilité au niveau des câbles en acier, une équipe de l'entreprise privée LERM a réalisé des essais à l'arbalète en mai 2022.
Après avoir mis à nu les câbles sous le pont et sur le pont, ils ont pu placer un appareil appelé arbalète directement sur ces fils en acier. L'appareil exerce une tension progressive sur les câbles pour tester leur résistance.
Les essais à l'arbalète ont été réalisés sur plusieurs semaines, sous le pont et sur le pont.
Sondages géotechniques : la solidité de la roche mise à l'épreuve
Avant le démarrage des travaux en 2025, les investigations techniques se poursuivent sur le site du pont Saint-Hubert. Durant plusieurs semaines, la société Ginger CEBTP a réalisé une campagne de sondages géotechniques à différents endroits de l’ouvrage. Trop usés, les câbles en acier assurant la suspension du pont doivent être remplacés.
« Afin d’assurer la transition entre les anciens et les nouveaux câbles, des câbles provisoires devront être installés avant de mettre en place la suspension définitive. Ces câbles seront arrimés à côté des massifs en béton actuel, sur une quinzaine de mètres de profondeur dans la roche », explique Bertrand Thépaut, chargé d’études au service génie civil du Département d’Ille-et-Vilaine. Il faut donc s’assurer de la capacité du sol à encaisser de tels efforts.
« Pour cela, l’entreprise réalise des prélèvements de roche, appelés carottages, à ces endroits stratégiques. Ces tubes de matière vont être analysés en laboratoire pour évaluer la solidité des composants du rocher et déterminer sa capacité à supporter une telle contrainte », détaille Bertrand Thépaut.
D’autres prélèvements sont réalisés au niveau de la fondation du grand pylône côté Plouër-sur-Rance. « Cette partie en maçonnerie, construite à l’époque du premier pont, présente des fissures qui peuvent fragiliser l’ouvrage. En effet, chaque cycle de marée entraine avec lui des petites particules de matériaux, appelées fines. Après plusieurs années, il peut se créer un vide à l’intérieur de la maçonnerie. Les analyses en cours vont permettre d’identifier la présence éventuelle de cette pathologie ».
Un carottage consiste à prélever un tube de matière pour analyse.
Ces prélèvements vont permettre d'évaluer l'état de l'intérieur de cette pile du pont.
Reliant l'Ille-et-Vilaine au Département des Côtes d'Armor, le pont Saint-Hubert est quotidiennement emprunté par 3000 véhicules.
Le viaduc permet de franchir les 286,5 mètres du fleuve côtier de la Rance, apprécié par pêcheurs, plaisanciers, amateurs d'activités nautiques.