Kition

Mission archéologique française de Kition (dir. Sabine Fourrier)

Gravure de la vieille ville de Larnaca par F. Cassas, 1785. Le point de vue est difficile à préciser : le mont Stavrovouni, à l’arrière, est curieusement très proche ; le grand bâtiment pourrait être l’église du Couvent des Franciscains de Terra Santa (refaite au XIXe siècle) ; la mare du premier plan pourrait correspondre aux restes du bassin portuaire de Bamboula (mais il manque la colline artificielle qui le bordait).

Gravure de la vieille ville de Larnaca par F. Cassas, 1785. Le point de vue est difficile à préciser : le mont Stavrovouni, à l’arrière, est curieusement très proche ; le grand bâtiment pourrait être l’église du Couvent des Franciscains de Terra Santa (refaite au XIXe siècle) ; la mare du premier plan pourrait correspondre aux restes du bassin portuaire de Bamboula (mais il manque la colline artificielle qui le bordait).

Sites de Kition

La ville ancienne de Kition, fondée dans les derniers siècles du Bronze Récent (XIIIe siècle av. J.-C.), est aujourd’hui recouverte par la ville contemporaine de Larnaca. Cette carte narrative invite à un parcours d’histoire urbaine en cinq étapes, qui mènent sur des lieux où différentes strates du passé du site se donnent à voir au visiteur. Il propose également des ressources documentaires en ligne qui permettent de prolonger et d’enrichir la visite.

I - Une grande ville de la fin du IIe millénaire

Site de Kition-Kathari

Fondée au XIIIe siècle av. J.-C., la ville de Kition connaît, au siècle suivant, un développement remarquable que signalent plusieurs constructions monumentales, notamment un temple et un rempart à soubassement de grès dunaire et élévation de briques crues. Ce dernier, dont on peut encore suivre une bonne partie du tracé, a profondément marqué la topographie de la ville contemporaine. Le matériel découvert dans les tombes révèle une société riche, ouverte sur le monde égéen comme levantin.

Les orthostates du Temple I de Kition-Kathari portent sur la face extérieure du mur sud une série de graffites représentant des bateaux, qui témoignent de la vocation portuaire de la ville.

Il reste de gros blocs de grès dunaire qui supportaient l’élévation de brique crue, aujourd’hui disparue. Ce tronçon protège la ville au Nord.

II - Un royaume chypro-phénicien

Site de Kition-Bamboula

Habitée sans interruption malgré les troubles qui marquent la fin du IIe millénaire, la ville de Kition connaît un nouvel essor, notamment grâce à l’installation de populations phéniciennes qui, dès le VIIIe siècle av. J.-C., en transforment le faciès culturel. Le phénicien devient la langue dominante. Les sanctuaires de Kathari, Bamboula et Kamilarga ont livré un matériel abondant qui témoigne de l’originalité de l’artisanat local. Les rois sont enterrés dans de belles tombes construites et partagent avec les autres souverains de l’île un répertoire d’images empruntées à l’Égypte (en particulier la figure de la déesse Hathor).

Chapiteau hathorique de Kition-Bamboula ( Musée du Louvre )

La déesse égyptienne Hathor est l’une des images de la Grande Déesse de Chypre, protectrice de la royauté. Elle figure souvent sous forme de chapiteau figuré, type qu’on retrouve dans différents sanctuaires et palais de l’île (Amathonte, Vouni).

Cette grande tombe à chambre construite (et non pas simplement creusée dans le rocher), à laquelle on accédait par un dromos (couloir d’accès), est caractéristique de l’architecture funéraire de l’élite chypriote à l’époque archaïque. Située dans la partie sud de Scala (la ville du bord de mer, par opposition à Larnaca, la vieille ville), elle a été transformée en crypte d’église consacrée à la Vierge Phaneromeni. Le lieu était, au XIXe siècle, fréquenté aussi bien par les chrétiens que les musulmans.

Parmi d’autres figurines de terre cuite, les fouilles françaises du sanctuaire de Kition-Bamboula ont mis au jour une série de reproductions miniatures de stèles hathoriques, datées du VIe siècle av. J.-C.

Le phénicien était la langue du royaume de Kition. On a découvert de nombreux textes écrits en alphabet, incisés ou peints, sur des fragments de céramique (ostraka). Ils servaient souvent à noter des comptes.

Ce type de figurine modelée, à visage imprimé, est caractéristique des techniques de fabrication phéniciennes. Il a été adapté à Kition dans une production locale, particulièrement bien représentée parmi les offrandes déposées dans le sanctuaire de Kition-Kamilarga, fouillé par  John Linton Myres  à la fin du XIXe siècle (et dont une grande partie se trouve aujourd’hui au British Museum).

III - Un puissant royaume maritime

Sites de Bamboula, Pervolia, Batsalos et des Salines

L’époque classique (Ve-IVe siècles av. J.-C.) est celle de l’apogée du royaume. Les rois phéniciens accroissent leur territoire (avec la conquête d’Idalion) et sont maîtres d’une puissante flotte. Les fouilles françaises ont dégagé le bâtiment où les navires de guerre étaient tirés au sec et elles ont restitué, en collaboration avec une équipe de géomorphologues, les contours du bassin portuaire aujourd’hui colmaté. L’extension des nécropoles, le développement des sanctuaires (dont plusieurs sont installés sur les rives du lac salé) témoignent de cette période faste de la ville.

Les tombes de cette nécropole sont des caveaux à inhumation collective, creusés dans le rocher. Le mobilier funéraire comprend essentiellement des vases en céramique. L’assemblage de formes simples, dépourvues de décor (amphore commerciale, bols et plats sans anse), est caractéristique de la culture matérielle de Kition au Ve siècle av. J.-C.

Ostrakon phénicien de Kition-Bamboula ( British Museum )

Ce long texte phénicien, écrit à l’encre sur une plaquette de gypse, a été découvert lorsque les Britanniques ont démantelé une grande partie du site archéologique lors de travaux d’assainissement en 1879. Émanant probablement de l’administration royale, il enregistre une liste de rétributions et versements effectués à différentes personnes.

Terre cuite des Salines ( British Museum )

De nombreuses figurines de terre cuite représentant une femme trônant, coiffée d’un haut calathos fleuri, ont été découvertes au XIXe siècle près des Salines, sur la rive nord du lac salé de Larnaca. Ces représentations, qui trahissent l’influence de modèles esthétiques grecs, signalent la présence d’un sanctuaire suburbain, particulièrement fréquenté au IVe siècle av. J.-C.

IV - De l’Antiquité aux premières fouilles scientifiques

Site de Kition-Bamboula

Les périodes suivantes, tout aussi riches, ont laissé peu de traces visibles dans la ville actuelle. Larnaca devient, à l’époque moderne, une escale du Levant, visitée par des voyageurs, marchands et pèlerins qui se rendent en Terre Sainte. L’un de ces voyageurs, Richard Pococke, recopie si fidèlement des inscriptions phéniciennes qu’on a pu les déchiffrer, malgré la perte des pierres. Nombre de trouvailles et d’explorations ont lieu avant le passage sous administration britannique qui voit la destruction d’une grande partie du site de Bamboula puis les premières fouilles scientifiques. Parmi ces dernières, on signalera les travaux de Myres dans la nécropole de Tourapi et surtout ceux de la mission suédoise à Bamboula.

Statue d’Héraklès-Milqart de Kition-Bamboula (Stockholm,  Medelhavsmuseet )

Les fouilleurs suédois ont effectué, en 1929, un sondage fructueux sur le site de Kition-Bamboula, révélant l’existence d’un sanctuaire, fréquenté de l’époque géométrique au début de l’époque hellénistique (IXe-IIIe siècles av. J.-C.). Ils y ont notamment découvert un bothros (poubelle sacrée) où avaient été pieusement enterrées des sculptures de calcaire archaïques et classiques. Parmi ces dernières domine le type d’un dieu combattant, vêtu de la massue et d’une dépouille de lion (comme Héraklès) mais maîtrisant également un petit lion qu’il tient par la queue. Le même type apparaît sur le monnayage phénicien du royaume.

Stèle funéraire inscrite en phénicien de Kition-Tourapi ( British Museum )

Au IVe siècle av. J.-C., des stèles funéraires sont érigées dans les nécropoles. De type oriental (à obélisque) ou grec (à couronnement fleuri), en calcaire local ou en marbre importé, elles portent des textes écrits en alphabet phénicien qui rappellent le nom du défunt et sa généalogie, parfois son titre ou son métier. La nécropole de Tourapi a été fouillée par Myres pour le  Cyprus Exploration Fund  en 1894.

V - Aujourd’hui

Site de Terra Umbra

Les fouilles se poursuivent aujourd’hui dans la ville de Larnaca, menées par le Département des Antiquités (fouilles programmées sur le site de Terra Umbra, fouilles de sauvetage en divers points de la ville) et la mission française (fouilles à Bamboula et sur le rempart, au sud de la ville). Par ailleurs, la valorisation du riche passé de la ville continue : la réfection du musée permettra de présenter au public les découvertes les plus récentes, et notamment les sarcophages exceptionnels mis au jour par le Département des Antiquités dans une tombe découverte à Sotiros ; les travaux de mise en valeur entrepris à Bamboula permettront, à terme, d’ouvrir le site au public

 Les fouilles de la mission française dans la partie nord du site de Bamboula (2016-2018) ont révélé l’existence de plusieurs puits circulaires, creusés dans le rocher et datant des XIIIe-XIIe siècles av. J.-C. Ils illustrent une phase ancienne d’occupation du site (au moment de la fondation de la ville). Leur riche comblement (avec notamment beaucoup d’ossements animaux) donne des informations sur les pratiques de consommation des habitants à la fin du Bronze Récent.

 Objet en ivoire  de Kition-Bamboula

Cet étonnant objet en ivoire (ou en os ?) découvert lors des fouilles récentes sur le site de Bamboula date du XIIIe siècle av. J.-C. Sa fonction est indéterminée (boîte ?). Il entre dans une série d’objets de luxe, d’un style « international » raffiné, qui circulaient en Méditerranée orientale à la fin du IIe millénaire.

Bibliographie :  Sabine Fourrier , "Fouilles à Kition-Bamboula ( 2016 ,  2017 ,  2018 )",  Chroniques des fouilles, BCH