
Mai 1940 : De Gaulle dans l'Aisne

©Musée de l'Ordre de la Libération | De Gaulle et Albert Lebrun à Goetzenbruck le 23 octobre 1939.
Du 15 au 20 mai 1940, le colonel Charles de Gaulle intervient dans l’Aisne à la tête de la 4e division cuirassée. Sa mission : couvrir le déploiement de la 6e armée française sur l’Ailette et l’Aisne pour protéger la route de Paris et tenter d’interrompre la percée des blindés allemands à travers la Picardie
Mai 1940 : l’invasion allemande
Couvrir l'installation de la 6e armée
Dans la matinée du 15 mai 1940, le colonel Charles de Gaulle est convoqué au Grand Quartier Général (GQG) de l’armée française.
Deux jours plus tôt les divisions blindées allemandes ont réussi à traverser la Meuse et se dirigent vers l’ouest, balayant la résistance des forces françaises qui tentent de les endiguer. Le souvenir de 1914 est alors dans tous les esprits et l’on craint que Paris soit l’objectif de la Wehrmacht. Afin de couvrir l’installation de la 6e armée sur l’Aisne, il reçoit l’ordre d’intervenir dans le Laonnois.
© Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 577 | Groupe de chars et véhicules de la 6e panzerdivision à l’arrêt dans un champ avant de reprendre leur progression, mai 1940.

En route vers le Laonnois
Le 15 mai à 15h le colonel de Gaulle quitte Le Vésinet où l’état-major de la 4e division cuirassée (DCR) est rassemblé. Cette division n’existe alors que sur le papier mais les unités qui la composent doivent le rejoindre dans l’Aisne. Entouré de ses officiers et d’un détachement, il prend la route de Soissons tandis que son chef d’état-major et son QG partent pour Corbeny.
Ayant dépassé Soissons vers 17h, il arrive au sud de Laon après un arrêt à Urcel à 17h30 et se fixe dans la soirée à Bruyères où est déjà installé le 4e groupe autonome d’artillerie qu’il intègre à ses forces.
Le colonel de Gaulle rejoint l'Aisne dans l'après-midi du 15 mai
©Le 15 mai 1940, sur la N2 entre Soissons et Laon, un char D2 de la 345e compagnie autonome de chars de combats croise des réfugiés.

Planifier l’attaque sur Montcornet
Montcornet
Ayant reçu l’ordre de la 6e armée d’établir des barrages antichars, le colonel de Gaulle couvre les flancs de la 4e DCR en installant des bouchons défensifs à Samoussy, Saint-Erme et Neufchâtel-sur-Aisne avec les maigres moyens dont il dispose. Heureusement, le 16 mai, les unités de chars composant sa division rejoignent peu à peu le Laonnois et il peut signer dans l’après-midi son ordre d’opérations n°1 : celui-ci planifie pour le lendemain une reconnaissance offensive en direction de Montcornet où la présence des Allemands est confirmée. Il donne personnellement ses ordres aux chefs d’unités à la nuit tombée.
Progression de la 4e DCR lors de la reconnaissance offensive sur Montcornet le 17 mai 1940
Les chars avancent sur Montcornet
Le 17 mai, après avoir quitté Bruyères à 2h, le colonel de Gaulle assiste à 4h15 au départ des chars lourds de sa division en lisière de la forêt de Samoussy. Ceux-ci débouchent sur Liesse-Notre-Dame puis Chivres non sans difficultés. Suivant la progression des chars, de Gaulle se déplace à Liesse puis Sissonne à 7h avant de rejoindre Gizy à 8h30 puis Liesse et Chivres, alors que les R35 du 24e bataillon de chars de combat (BCC) partis de Sissonne pénètrent dans Montcornet et Lislet par la route de Reims. Sans infanterie ils sont victimes des antichars allemands et ne peuvent passer la Serre, et ceux du 2e BCC ne font pas mieux. Vers 15h les R35 se replient sur Boncourt.
© Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 14, Char Renault R35 du 24e BCC détruit à l’entrée de Montcornet.
Montcornet victoire psychologique ?
De leur côté les chars lourds du 46e bataillon de chars de combat (BCC) et de la 345e compagnie autonome de chars de combat (CACC) progressent plus difficilement et perdent beaucoup de temps à faire le plein à Bucy-lès-Pierrepont de 12h à 16h. Vers 15h, en cette longue journée du 17 mai, les D2 descendent vers Montcornet par la route de Laon et détruisent une colonne allemande. Vers 16h le colonel de Gaulle ordonne le repli mais le 46e BCC qui ne l’a pas reçu tente d’avancer via La Ville-aux-Bois-lès-Dizy avant de se replier entre 18h et 21h sous les bombes des Stukas. Vers 22h les D2 se replient à leur tour et croisent peu avant Liesse le colonel de Gaulle qui les attend. Montcornet aura été un échec mais du temps a été gagné et la manœuvre a inquiété les Allemands qui maintiennent leur Haltbefehl jusqu’au 18 mai afin de renforcer les flancs de leur percée.
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 1, Groupe d'officiers allemands posant devant le char B1 bis n° 484 « Lyautey » du 46e bataillon de chars de combats (BCC), abandonné suite à une panne d'essence à Bucy-lès-Pierrepont le 17 mai 1940.
L'attaque de Crécy-sur-Serre
Crécy-sur-Serre
Le 18 mai le colonel de Gaulle déplace son PC à Festieux. Ayant reçu des renforts, il signe l’ordre d’opérations n°4 prescrivant l’attaque sur Crécy-sur-Serre et se rend le 19 mai à 3h à la gare de Laon où il installe son observatoire en haut du réservoir en béton. Après avoir couvert son flanc droit avec les automitrailleuses du 10e régiment de cuirassiers (RC) sur la route de Marle et les chasseurs du 4e bataillon de chasseurs portés (BCP) à Chambry, il peut lancer à 4h15 ses 150 chars vers le nord avant de se porter lui-même au Mont Fendu à 7h10. À 9h30, il gagne en voiture la ligne de combat et commande sur le terrain le déploiement des chars R35 vers le pont de Crécy, mais la résistance allemande est là encore bien organisée. Manquant d’infanterie, toute percée s’avère impossible.
19 mai - Attaque des ponts de la Serre par la 4e DCR et attaque de Chambry par la 25e division allemande.
Un repli difficile
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 567, Char D2 « L’Alma » de la 345e compagnie autonome de chars de combats, détruit le 19 mai 1940 à Crécy-sur-Serre (photographie prise le 21 mai).
Le 19 mai à 11h, le colonel de Gaulle décide d’engager les chars D2 sur Crécy. Ils débouchent dans le village mais sont bloqués devant le pont sur la Serre par des mines antichars.
De leur côté les B1 bis contournent par Chalandry qui est pris aux Allemands mais ils sont stoppés devant Mortiers. Son artillerie écrasée par l’aviation allemande, n’ayant pu percer à Crécy tandis que le 4e BCP résiste avec vigueur dans Chambry, de Gaulle quitte le Mont Fendu vers 14h.
Les ordres de repli sont échelonnés dans l’après-midi pour toutes les unités, sa voiture marchant en queue du dispositif sous les bombes avant de rentrer à Festieux vers 19h30.
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 13, Automitrailleuses de découverte Panhard 178 du 10e régiment de cuirassiers capturées par les Allemands dans le secteur de Laon.
Evacuer le Laonnois
Le 20 mai au lever du jour, il décide de repasser l’Aisne et prépare ses ordres. Vers 8h il fait porter son PC dans le village de Trucy puis part vers 9h dans les bois au sud de Chamouille.
L’ordre de repli est envoyé aux unités entre 10h30 et 12h mais toutes ne le reçoivent pas. Les B1 bis du 46e BCC parviennent à se replier mais laissent des chars en panne sur la RN2. Le 2e BCC et le 10e RC installés à Festieux et Parfondru sont sévèrement accrochés par une colonne motorisée allemande en fin de matinée : les automitrailleuses sont presque toutes anéanties tandis que le 2e BCC se replie difficilement par le Chemin des Dames et l’arbre de Paissy.
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 572, Automitrailleuse de découverte Panhard 178 du 10e régiment de cuirassiers renversée sur le bord de la route de Festieux à Laon devant une tombe provisoire, juin 1940.
Repasser le Chemin des Dames et l'Aisne
Le Chemin des Dames
Ayant traversé Cerny-en-Laonnois puis Bourg-et-Comin, le colonel de Gaulle franchit l’Aisne le 20 mai à 12h15 à Vailly-sur-Aisne avant de gagner son nouveau PC à Savigny-sur-Ardres, au sud de Fismes. Pendant ce temps les unités de la 4e division cuirassée (DCR) se replient non sans pertes. Accrochées à la ferme d’Hurtebise, les compagnies de transport sont presque anéanties malgré l’intervention du 24e bataillon de chars de combat (BCC) tandis que les Somua du 3e régiment de cuirassiers (RC) doivent se battre pour passer à Cerny-en-Laonnois. Entre 18h et 20h les derniers chars passent les ponts sur l’Aisne avant que ceux-ci ne soient détruits, clôturant l’épopée du colonel de Gaulle et de la 4e DCR dans l’Aisne.
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 571, Char D2 « Neerwinden » de la 345e compagnie autonome de chars de combats, détruit le 20 mai 1940 près de Festieux.
©Arch. dép. de l’Aisne, 2 Fi 566, Deux militaires allemands montés sur le char D2 « Le Rocroi » de la 345e compagnie autonome de chars de combats, détruit à Festieux le 20 mai 1940.
Replié à Savigny-sur-Ardre le 21 mai, Charles de Gaulle est prié d’enregistrer un petit discours pour l’émission de radio « Le Quart d’heure du soldat ». Les mots qu’il prononce offrent une conclusion intéressante pour résumer l’action de celui qui, quelques jours plus tard, sera promu général de brigade à titre temporaire. Celui-ci y pose déjà les grandes lignes de l’appel du 18 juin, les combats qu’il a menés dans l’Aisne ayant sans nul doute forgé sa volonté et les arguments pour la formuler ensuite :
« Le Chef qui vous parle a l’honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement – sans nulle vantardise – que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat. Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d’un tel instrument. C’est cela qu’il nous faut pour vaincre, Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne. Grâce à cela, un jour nous vaincrons sur toute la ligne. »