
Histoires d'ados exilés : se raconter en son et en photo
Des adolescents confiés à l'aide sociale à l'enfance, ont participé à un projet artistique porté par le Département.

Raconter ses rêves, ses espoirs, son quotidien à travers des photos et des sons : c’est l’expérience proposée à des adolescents étrangers, hébergés par Coallia à la Caserne Guillaudot. Porté par le Département d’Ille-et-Vilaine dans le cadre d’une expérimentation au sein de 5 structures accueillant des enfants confiés, ce projet a été mené par l’association Diapositive en partenariat avec l’Edulab et l’Hôtel Pasteur . Anne-Cécile Esteve, photographe professionnelle et Alice le Guiffant, réalisatrice sonore, guident les jeunes dans leur découverte. Pour les participants, c'est l'occasion d'apprendre un savoir-faire technique, mais aussi de créer des liens avec d'autres, jeunes comme adultes. À travers l'objectif se révèle un regard différent sur leur nouveau cadre de vie, devenant une source d'imaginaires et de poésie.
Aujourd’hui ils sont 4 à être venus. Moussa, Tuhin, Saibo et Abdoulaye sont âgés de 16 ou 17 ans et ont quitté leur pays d’origine pour venir en France. Hébergés à la Caserne Guillaudot gérée par la structure Coallia, ces « mineurs non accompagnés » (MNA) sont sous la responsabilité du Département d’Ille-et-Vilaine, qui a pour mission de les protéger et de les aider à trouver leur place. En octobre et novembre, une série de 8 ateliers photo et enregistrements sonores leur ont été proposés. Un projet à la fois artistique, social et éducatif.

« Allez, on époussette les problèmes, on les laisse dehors », lance Gwenaëlle, coordinatrice culturelle du projet. En cercle, dans l’atelier baigné de lumière de l’Hôtel Pasteur, les jeunes débutent ce nouvel atelier par une une mise en mouvement. « Ce petit exercice est un bon moyen de se mettre en condition », explique-t-elle en souriant. Puis Anne-Cécile dispose une série de photos sur le sol. « Chacun choisit une photo qui est révélatrice de son état d’esprit du jour, de comment il se sent ». Pour Abdoulaye, ce sera la photo assez sombre d’une femme avec un livre. « Je suis content de revenir ici pour la deuxième fois », dit-il. Pour Moussa, ce sera l’image d’un canal de Venise.
Les sons du quotidien
Après cet état des lieux émotionnel en images, Alice démarre l’enceinte. « On va écouter les sons que vous avez enregistrés durant cette semaine à Coallia et essayer de deviner ce que c’est ». Quelqu’un qui sifflote ici, des chants, des bruits d’oiseaux, l’interview d’Eva, travailleuse sociale, des personnes qui coupent des légumes… « Avant de commencer ces ateliers, on a partagé un repas tous ensemble, pour qu’ils apprennent aussi à se connaître, certains ont chanté au micro », raconte Gwenaëlle.
Après cette plongée sonore dans leur quotidien ici en France, place à la pratique.
« Le principe, c’est que je leur prête des appareils photos et qu’ils prennent en photo quelque chose qui leur fait du bien. Cela peut être une couleur, en rapport avec une émotion, puis je leur demande ce que ça leur évoque, pourquoi ils ont eu envie de prendre ça en photo. Cela peut induire pas mal d’introspection, donc je ne les incite jamais parler plus que ça », explique Anne-Cécile Esteve.
Anne-Cécile Estève ici aux côtés de Tuhin, participant aux ateliers.
Photographe autodidacte depuis 2007, Anne-Cécile Esteve a eu envie de monter ce projet… non par hasard.
« Je suis très sensible au public exilé en général, je mène un autre projet photo avec des femmes exilées du foyer Coallia ». Après avoir vécu en Indonésie, Anne-Cécile a travaillé pendant 9 ans pour une organisation de défense des droits humains. De retour en France, c’est un sujet sur lequel elle continue de travailler. « Je me suis vraiment rendue compte que mes photos pouvaient faire du bien aux gens. En atelier, j’utilise la technique du photo-langage. À travers ce que l'on prend en photo, on se dévoile, on peut se raconter, se libérer aussi. »
« Ils deviennent journalistes de leur propre vie »
« Avec ce projet, il y a deux objectifs. D’abord, que ces jeunes puissent acquérir de nouvelles compétences. Bien sûr, ils savent tous prendre des photos avec leur téléphone, mais là, ils deviennent journalistes de leur propre vie", précise Anne-Cécile Esteve, "l’idée est de leur donner les outils pour s’exprimer sur ce qu’ils veulent, pour documenter leur vie, mais en se concentrant sur le présent, sur leurs rêves, pour qu’ils racontent ce qui les met en joie, en colère, toutes ces petites choses simples, qui font leur quotidien. Même si bien sûr, vu de ma fenêtre, ils ont un parcours extraordinaire ».
L’idée est de leur donner les outils pour s’exprimer sur ce qu’ils veulent, pour documenter leur vie, mais en se concentrant sur le présent, sur leurs rêves, pour qu’ils racontent ce qui les met en joie, en colère, toutes ces petites choses simples, qui font leur quotidien."
Au programme de la troisième séance : une balade dans le centre-ville de Rennes, appareil photo et enregistreur zoom H4 en main, casque sur les oreilles.
« On va aller se promener en ville, vous pouvez capter tous les bruits qui vous semblent intéressants. Pour faire entendre les bruits de la ville, enregistrez des sons courts, 1 minute maximum », conseille Alice. « On s’inspire d’un projet mené au niveau européen sur les cartes postales sonores, l’idée est de comprendre ce qu’est une ambiance à travers des sons… » détaille Gwenaëlle. Après avoir appris les fonctionnalités de base pour enregistrer les sons, le groupe se dirige jusqu’à la place de la mairie.
Au détour d’une rue, Tuhin, originaire du Bangladesh, s’arrête net devant une boutique de vente de pierres. Dans la vitrine, une petite statue de Buddha. « Je fais beaucoup de photos avec mon téléphone, mais avec un appareil c’est différent, plus difficile mais plus intéressant ».
Grâce à ces ateliers, le jeune homme s’est découvert une vraie passion pour la photo. « Il adore tellement ça que je lui ai prêté un petit compact argentique pour qu’il puisse photographier son quotidien entre les séances. Il n’y a que 36 poses sur la pellicule, donc il doit faire des choix », explique Anne-Cécile.
Pour Tuhin, ce sera la photo, pour d’autres ce sera le son. « Tout le monde a besoin de s’exprimer, l’idée est de leur donner les outils et la possibilité d’expérimenter les deux médias pour qu’ils choisissent ce qu’ils préfèrent. Le son et la photo sont hyper complémentaires », ajoute Alice. Cette ancienne institutrice et danseuse, reconvertie en réalisatrice sonore, a à cœur de sensibiliser les jeunes au média sonore.
En ce mardi ensoleillé d’automne, la place de la mairie fourmille de vie.
Abdoulaye, 16 ans, tend son enregistreur zoom H4 vers le manège pour enregistrer la musique enfantine et les rires d’enfants. « J’ai envie de raconter des choses », confie-t-il.
Un peu plus loin, le groupe s’intéresse à un attroupement de pigeons attirés par des graines qu’une passante leur a déposées.
Saibo affiche un grand sourire. Il s’approche doucement d’Anne-Cécile en tendant son casque. « Tu veux écouter ? » lui dit-il. L’adolescent a réussi à enregistrer le son des oiseaux qui s’envolent. « C’est génial ! », s’exclame-t-elle. Saibo est fier.
Changer le regard sur les jeunes exilés
Au-delà des compétences techniques qu’ils peuvent acquérir utiles dans leurs parcours de formation, ces ateliers d’expression par les photos et les sons permettent aux jeunes de prendre confiance en eux, de tisser des liens entre pairs, de s’entraîner à parler français, de passer du temps avec des adultes "repères"… « Lorsqu’ils sont dehors équipés de leurs appareils photos et leur casque, le regard des autres changent, le matériel implique une certaine posture pour eux, ce n’est pas anodin », précise Anne-Cécile Esteve.
L’autre objectif de ce projet ; c’est aussi de sensibiliser le grand public, il y a tellement de préjugés, d’a priori sur les jeunes exilés, qu’il s’agit provoquer la rencontre pour lutter contre ces idées reçues "
À l’issue des 9 séances, les photos et sons réalisés feront peut-être l’objet d’une restitution sous la forme d’une exposition. « On verra en fonction des jeunes et de ce qu’ils veulent ou non », ajoute Anne-Cécile Esteve.